jeudi 22 septembre 2011

Pourquoi être allé sur la Lune ?


Il y a un peu plus de 50 ans, le 25 mai 1961, le président John F. Kennedy annonçait devant le Congrès américain sa décision d’envoyer des hommes sur la Lune d’ici la fin de la décennie. Ainsi commençait la plus grande mobilisation humaine et financière jamais réalisée aux Etats-Unis en temps de paix. En l’espace de deux ans, la NASA allait voir son budget augmenter de 400% passant de USD 1,1 milliards à près de USD 5,7 milliards. Le nombre d’employés de la NASA était multiplié par trois en 5 ans atteignant 34 500 en 1965. Quant au nombre d’emplois dépendant de l’espace, il passait de 36 500 en 1960 à 376 000 en 1965.

Pourquoi les Etats-Unis ont-ils décidé d’aller sur la Lune ? La question semble d’autant plus pertinente aujourd’hui que l’histoire d’Apollo est « polluée » par le mythe et la nostalgie. Il faut dire que le cinéma hollywoodien n’hésite pas à faire sienne l’aventure qui a culminé avec l’atterrissage sur la Lune (NB : « alunissage » n’est pas propre en français) d’Apollo 11 en 1969. Certes, nous avions l’excellent Apollo 13, mais…

… qu’on en juge plutôt : déjà, en juin dernier, Transformers III choisissait d’expliquer la décision d’aller sur notre satellite par la découverte d’un vaisseau extra-terrestre sur « la face cachée de la Lune », et la fameuse « course à Lune » par le désir commun des deux Grands de s’approprier les secrets des Aliens. Or, désormais, nous avons aussi l’explication quant à la fin du programme Apollo. Encore que je vous laisse découvrir la surprise : le film sort le mois prochain.

Alors répétons-nous, pourquoi les Etats-Unis ont-ils décidé d’envoyer des hommes sur la Lune ? Bien que 308 pages soient nécessaires pour y répondre, j’essaierai de vous épargner les détails. Retenez toutefois que l’histoire de la décision de Kennedy de 1962 vient d’être (re)écrite par le meilleur historien de l’espace américain, John Logsdon, dans son dernier ouvrage, John F. Kennedy and the Race to the Moon (2010). Pour les plus curieux, une brève recension – écrite par votre serviteur – est disponible sur le blog de relations internationales e-IR, en anglais.

Ce que dit Logsdon peut être résumé de la façon suivante : 

1) Kennedy n’est pas arrivé au pouvoir avec une vision pour l’espace et l’Amérique. Ce n’est pas que l’espace ne l’intéressait pas (une grande partie de sa campagne était fondée sur l’existence d’un « missile gap »). Même s’il est vrai, par ailleurs, qu’il a préféré mettre en avant le vice-président pour ces questions là. Mais davantage parce que pour lui l’essentiel était sur Terre, c'est-à-dire que le plus important demeurait la relation entre les Etats-Unis et l’URSS. Logsdon a donc le mérite de montrer que l’approche privilégiée par Kennedy n’était pas la compétition, mais la coopération. Pour lui, l’espace pouvait incarner un terrain d’entente neutre entre les deux Grands. Dans ce cadre là, la Lune offrait un excellent catalyseur capable ensuite d’étendre un climat de confiance aux questions véritablement dignes d’intérêt, celles de sécurité et de nucléaire (crise de Cuba). En 1963, malgré les plans de la NASA et le projet Apollo alors en pleine phase de lancement, Kennedy n’avait par exemple pas hésité à tendre la main à l’URSS lors d’une tribune à l’ONU.

2) Kennedy n’a pas pris la décision d’aller sur la Lune avec l’idée explicite de détourner la course aux armements entre les deux Grands vers une destination que l’on qualifierait d’« inoffensive », car n’impliquant « que » le prestige. Au contraire, ce que la décision de 1962 montre, c’est que Kennedy n’est pas un visionnaire ou un idéaliste mais un décideur pragmatique. De fait, l’époque de la guerre froide n’est pas entièrement déterminée par le dilemme de sécurité et la crainte de l’apocalypse. Ce qui importe, c’est aussi l’idéologie, c’est l’image, c’est la perception que les autres – les nations décolonisées, les pays du Tiers monde – ont de vous. Or l’espace, parce qu’il incarne plus que tout autre chose la supériorité technologique, voire l’excellence culturelle et morale, d’un pays, d’un système, est ici très important. Kennedy ne pouvait pas laisser l’URSS gagner cette bataille là.

3) Je dis « la » décision de Kennedy d’aller sur la Lune. Mais il y a en réalité eu plusieurs décisions, confirmant jour après jour la tendance que le premier discours avait laissé percevoir, celle d’aller sur la Lune… seul ! Compétition ou coopération ont longtemps constitué un dilemme pour l’administration Kennedy. Pour cette raison, Logsdon parle d’un modèle rationnel qui s’appliquerait parfaitement à cet exemple de prise de décision. Kennedy a compris qu’il y avait un problème ici-bas – les perceptions tant internationales que domestiques vis-à-vis des Etats-Unis – et que la solution se trouvait là-haut – trouver une entreprise suffisamment puissante pour captiver l’imagination du monde mais aussi suffisamment lointaine pour laisser à l’Amérique le temps de se préparer… et de gagner. La solution, c’est aller sur la Lune. Après l’échec de la baie des cochons et l’humiliation provoquée par le vol de Gagarine, les Etats-Unis étaient au plus bas. Avec la Lune, ils disposaient d’un objectif avec lequel ils pouvaient rivaliser d’égal à égal avec l’URSS.


4) Cela n’empêche pas Apollo de représenter beaucoup d’autres choses. Tout d’abord, Kennedy n’avait certainement pas idée de l’immense impact qu’aurait Apollo sur l’économie et la société des Etats-Unis. Si la décision a été prise en haut – surtout pour des raisons de politique étrangère – elle a été appliquée par d’autres. Au premier rang, James Webb, l’administrateur de la NASA, un Démocrate tendance New Deal pour qui Apollo était aussi un gigantesque programme de relance (éducation, développement, etc.). La même chose vaut pour le vice-président Johnson qui appliquera au sein de sa nouvelle administration un programme « socialiste » de « Great Society ». Plus largement, l’entreprise était trop vaste pour empêcher la formation de « pork barrel politics » bénéficiant à tel ou tel membre du Congrès et sa région d’origine (le choix de la Floride, Texas, ou Californie pour abriter les centres spatiaux). Enfin, Apollo, c’est aussi l’incarnation d’une philosophie libérale occidentale (avec la volonté et les moyens, l’homme peut dominer la nature) tout particulièrement à l’aise aux Etats-Unis, puisque s’ajoute un idéal messianique, etc.

5) Pour terminer, Apollo a marqué l’histoire de l’humanité, mais rien ne garantissait son succès final. A ce propos, si personne n’a encore réussi à relancer l’espace civil aux Etats-Unis sur un objectif aussi ambitieux (Mars a plusieurs fois été évoqué : mais de Bush père à Bush fils, le résultat est nul ; on attend encore de voir pour Obama), c’est aussi parce qu’Apollo a bénéficié d’une situation hors du commun. Outre le contexte plus général de la guerre froide, il faut se souvenir que c’est l’assassinat de Kennedy qui a installé une bonne fois pour toute Apollo dans le paysage politique américain. Le nouveau président Johnson (outre d’être d’ailleurs un fanatique de l’espace) ne pouvait pas remettre en cause un programme qui incarnait l’héritage spirituel de son prédécesseur et son don à l’Amérique. La même chose vaut pour Nixon (et explique sans doute le besoin d’être toujours faster, higher, stronger avec la navette spatiale). Cette remarque est d’autant plus importante que les Etats-Unis subissent alors de plein fouet le reflux de la guerre du Vietnam. 

Bref, un livre à lire !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire