a) GoT est-il raciste ?
Comme le Seigneur des Anneaux avant lui, GoT joue sur l’opposition barbarie/civilisation. Prenez les Dothraki. Nu, tribal, nomade, tatoué, le peuple auquel est confiée la jeune femme blonde Daenerys est tout sauf civilisé. Mariée au puissant chef de clan Khal Drogo (joué par l’acteur originaire d’Hawaï, Jason Momoa), l’héritière de la dynastie royale chassée du pouvoir en Westeros (la civilisation) doit affronter un monde tenant à la fois des Huns, des Mongols et des Indiens d’Amérique (la barbarie).
De fait, les Dothraki ressemblent à une peuplade primitive incapable de penser l’innovation ou même la pensée abstraite, et donc la culture et la politique. Chez eux, le gouvernement est brutal par définition et seule la force est reconnue. De l’honneur ou du devoir, nulles traces. Il en est de même de la monarchie héréditaire. Un Khal (un chef local) se doit d’être fort et ne songe – pour le prouver – qu’à piller et à conquérir.
Il s’agit en bref de sauvages précapitalistes superstitieux (ils ont peur de la mer et ne comprennent le monde qu’à travers des métaphores équestres) qui ne possèdent pas même d’équivalent pour « merci » dans leur langue (pour apprendre celle-ci et comprendre comment se construit l’opposition barbarie/civilisation, voir ici et là, et encore la vidéo ci-dessous). Comme l’écrit Pablo de chez The Disorder of Things : « Their language has the harsh intonations familiar from other racialised constructions, like Klingons without technology. Oh, and they’re quite swarthy ». Des barbares stéréotypés vous dis-je !
Reste que Khal Drogo émerge peu à peu de son trou bestial grâce au potentiel civilisateur érotique de sa nouvelle compagne, Daenerys. A l’image de ce mauvais film qu’est La Guerre du feu (Jean-Jacques Annaud, 1981), la civilisation passe par l’apprentissage du sexe. A noter qu’il s’agit d’un cliché de la littérature depuis au moins les aventures sumériennes de Gilgamesh et notamment la rencontre entre la bête Enkidu et la courtisane. D’ailleurs idem pour Les Mille et une Nuit qui ne raconte pas autre chose. Bref, la civilisation naît – physiquement et moralement – du féminin !
b) Quelle place pour les femmes ?
De fait contrairement à d’autres livres de fantasy dont l’univers reste essentiellement masculin, GoT met en avant le rôle des femmes. Et ce qui est vrai de cette première saison le sera encore davantage des prochaines à mesure que de nouveaux personnages féminins prendront place. Mais George Martin ne fait pas pour autant dans le féminisme. Certes, les femmes d’Etat intelligentes et fortes sont nombreuses : Cersei et Catalyn par exemple, peut-être Sansa et Lysa à la fin de la saison. Mais celles-ci ne sont pas des personnages féministes dans le sens où elles essaient (encore) de s’intégrer dans une hiérarchie masculine.
Un modèle inverse pourrait être celui développé par Arya qui, tout en cherchant à prendre un rôle masculin (elle ne cesse de répéter qu’elle ne veut pas être une « lady » et préfère le maniement des armes à celui des aiguilles à coudre), ne nie pas son propre sexe pour autant (« I am not a boy, I am Arya Stark of Winterfell »). En réalité, passer pour un garçon est davantage une stratégie de survie (à la fois temporaire et désespérée) imposée par la dureté de la situation qu’un trait de personnalité.
Nous avons déjà eu l’occasion d’analyser le rôle de séductrice joué par Daenerys en relation avec les Dothraki. A la fois ingénue et diabolique (tropisme de la femme mi-ange mi-démon), protégée par l’amitié des femmes qui l’entourent et par le respect d’hommes puissants, elle incarne un personnage d’autant plus ambivalent que la fin de la série se termine sur son apothéose. Tel le phénix, sa naissance signe, non pas l’apparition d’une nouvelle Vénus sortie des eaux, mais plutôt celle d’une femme harpie née et fécondée par le feu. Un monstre féminin vengeur n’ayant pour cacher sa nudité que trois dragons – l’équivalent de l’arme absolu dans GoT.
Dans le livre, Catalyn, la femme de Eddard Stark, n’est pas très différente de Daenerys lorsque celle-ci pousse son mari à suivre un agenda d’émancipation des esclaves et une politique plus progressiste. Dans la série toutefois, Catalyn n’est plus aux manettes. Le personnage a été entièrement remodelé : il ne donne plus de conseils tactiques, mais adopte plutôt les contours archétypaux de la femme cloîtrée dans le domaine domestique et restant à la maison (immobilité) en attente du mari agissant (mobilité), si communs aux films hollywoodiens. Reste à savoir comment la télévision fera évoluer ce personnage central.
Quant à Sersei, le rôle dans lequel la première saison semble la confiner est celui de la mère tant possessive qu’ambitieuse pour l’avenir de ses enfants. Mais Sersei est, là encore, un personnage beaucoup plus complexe – ce que les livres mettent en avant, puisque de nombreux passages sont narrés selon son point de vue. La relation incestueuse qu’elle entretient avec son frère jumeau en témoigne tout particulièrement. S’y projette en effet une personnalité trouble à la fois frustrée (= être un homme, comme son frère à qui elle ressemble physiquement, et hériter ainsi du respect et du nom de son père) et dominatrice (= rester une femme et montrer qu’elle est aussi forte que les hommes qu’elle parvient, grâce à sa grande beauté, à subjuguer et à dominer, dont le frère en question).
c) Féminisme et post-colonialisme : les oubliés
En Relations internationales, les thèmes qui viennent d’être traités peuvent servir d’illustration aux théories « critiques » dites féministes et post-colonialistes. Les théories féministes qui ont commencé à véritablement proliférer au début des années 90 ont cherché à produire une alternative au discours dominant (« mainstream » et « manstream ») centré sur les hommes, les Etats et la guerre. L’analyse post-colonialiste prolonge cette remise en cause des Relations internationales telles que pensées de manière traditionnelle en ajoutant à la critique de la masculinité sous-jacente des théories la reconnaissance de leur caractère occidentalo-centré.
Dans ces conditions, toute discussion genrée de GoT doit examiner les deux perspectives, en tenant compte à la fois des femmes et des hommes, mais aussi des dominants comme des dominés. Dans la continuité des analyses que nous venons de donner relatives à la place des femmes et à la dialectique barbare/civilisation, disons rapidement que, grosso modo, trois autres séries de personnage ont un rôle non négligeable :
Tout d’abord, il y a les bâtards dont l’existence en tant qu’institution (les bâtards non-légitimés ont pour nom de famille la région dans laquelle ils naissent : par exemple, snow pour le Nord enneigé et stone pour la région montagneuse du Vale) est fondamentale pour expliquer les relations entre les hommes et les femmes, notamment lorsque les hommes sont les représentants de grandes familles.
John Snow est l’exemple parfait, déchiré entre ses ambitions (ne pas trahir son sang, ses origines : il est un des fils de Stark) et son statut de marginal (ne pas sortir du rang : il n’est pas le fils de Catalyn et celle-ci n’oublie de le lui rappeler). La différence est d’autant plus importante qu’elle est en quelque sorte naturalisée : son compagnon est un loup albinos, alors que ses (demi-)frères et sœurs ont des loups de couleur sombre ; son seul avenir est le Night’s Watch, c’est-à-dire une armée dont le modèle se situe entre la Légion étrangère (nouvelle identité) et la méthode de recrutement que certains disent être celle de l’armée américaine (les plus pauvres, les marginaux, les dominés).
Parmi les bâtards, je rangerai aussi la figure du nain Tyrion Lannister (joué par Peter Dinklage, récemment récompensé par un Emmy) que son père rejette à la fois pour sa difformité et pour le rôle qu’il a joué dans la mort de sa mère lorsque celle-ci l’a mis au monde (« All dwarves are bastards in their father's eyes »). Ce personnage, très important dans la saga, doit constamment jouer avec les préjugés de sa société. Son nanisme est d’autant plus intéressant qu’il n’est pas intégré dans une logique fantastico-raciale comme chez Tolkien et consorts.
Existent aussi les prostitués toujours présentes en arrière fond, qu’elles soient courtisanes, tenancières de bordels ou simples filles de joie. Certaines jouent même un rôle important (Ros, Shae, ou Tysha, l’ancien amour de Tyrion). Enfin, il y a tous les autres, demeurés à l’ombre du « game of thrones » : péons et villageois victimes de la guerre et de la famine, mercenaires à la recherche d’argent facile, espions à la solde des uns et des autres, soldats déracinés, eunuques, esclaves, membres des différents clergés, fanatiques, etc. Autant d’individus dont la présence, bien que secondaire, est sans cesse rappelée (émeutes urbaines, jacqueries, guerres de religion, etc.).
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Ainsi s’achève cette rétrospective consacrée à la série télévisée/saga littéraire Game of Thrones selon l’angle des principales théories des relations internationales. Je vous rappelle quels en étaient les épisodes :
2) « Réalisme et Realpolitik »
Y a-t-il quelque chose à rajouter ?
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