Comme annoncée hier dans l’introduction,
la première partie de l’entretien concerne l’aspect « réel » du jeu.
La parole à Hagalis, invité spécial, expert ès-WoW de Terre à la Lune.
Comment réel et
virtuel se combinent-ils dans WoW ? Je pense aux aspects économique (par
exemple, que peut illustrer le succès de ce jeu, notamment dans les pays
émergents, et quels mécanismes économiques se cachent derrière ?) et juridique, mais
également à la dimension plus géopolitique ou, en tout cas, au rôle joué par les
nationalités, les langues, voire la culture d’un pays, d’une région.
HAGALIS :
La majorité des
joueurs sont probablement de la classe moyenne mais le jeu attire vraiment
toutes les classes. Selon les statistiques, le joueur type a entre 15 et 35 ans, il est un homme et il est
chinois (2/3 des joueurs).
Dans mon expérience de
joueur européen, la tranche d’âge des 15 – 35 est bien évidemment surreprésentée mais il m’est
arrivé de côtoyer des mères de familles, des grands-pères, des fonctionnaires,
des professions libérales, des salariés du privé, des chômeurs… en somme, tout
le spectre social.
Les extrêmes sont
visibles surtout au niveau de la revente d’objets IRL [« In Real
Life », dans la vie réelle ≠
« In Game », dans le jeu].
Un prince du Qatar a racheté un compte pour
7000€. De nombreux chinois sont devenus gold farmers sur WoW. Le marché de la
revente de gold/objets est en pleine expansion, malgré son interdiction par
Blizzard. Des prisonniers chinois ont été forcés à jouer par leurs matons, ça
rapporte plus que casser des cailloux.
Les échanges IG/IRL
portent sur :
- Les comptes (revente d’avatars)
- L’argent
- Les objets (équipement, potions, parchemins, etc.)
- « Vanity objects » :
montures, animaux domestiques, tous les objets qui n’ont qu’un intérêt purement
esthétique et qui n’ont pas réellement d’influence sur les mécanismes de jeu.
Blizzard a mis en
place plusieurs mécanismes afin d’enrayer partiellement la revente d’objets.
Ex : limitation des sommes d’argent transportables lors d’un changement de
serveur. Cela évite que les gold-sellers puissent déposer des mules pleines aux
as sur chaque serveur, ça permet de cloisonner les marchés (chaque serveur a
donc un cours de l’or différent, fonction principalement du nombre de joueurs
sur le serveur). Il est donc nécessaire pour les gold-sellers de créer des
personnages sur chaque serveur qu’ils désirent desservir, où bien d’acheter de
l’or aux autochtones, qu’ils revendent à un prix supérieur.
Les plus grosses transactions
sont risquées vu que les objets/comptes sont facilement repérables par
Blizzard. Ainsi, le compte racheté 7000€ s’est fait bannir. Cela permet
d’ailleurs d’en profiter pour magouiller. J’en connais qui ont vendu leur
compte, qui ont pleuré auprès de Blizzard pour le récupérer en disant qu’ils se
l’étaient fait voler et qui l’ont directement revendu…
Blizzard s’est mis
lui-même à la vente d’objets via un jeu de cartes. T’achètes ton paquet et tu
obtiens parfois un « vanity object » via un code inscrit sur la
carte, à activer en jeu, qui peut se vendre jusqu’à 1500€. La valeur des objets
proposés IG fait monter le prix de vente des cartes, indépendamment des
qualités intrinsèques du jeu lui-même.
Le vol de compte est
assez courant également, j’en ai vu au moins une trentaine dans mon entourage
mais là-dessus Blizzard est assez efficace. Ils ont mis en place un
authenticator, un petit bidule électronique IRL qui génère un code aléatoire à
chaque fois que tu dois te connecter. Pas possible de te piquer ton compte sans
te piquer ton authenticator IRL.
Les échanges entre les
deux factions sont possibles via des « hôtels des ventes » spéciaux,
gérés par les gobelins [Horde] ou les
gnomes [Alliance], deux races qui
sont manifestement plus « neutres » que les autres.
L’économie parallèle
sur les mmo est gigantesque. J’ai lu qu’elle était encore plus importante que
l’économie des mmo eux-mêmes, pas étonnant que les développeurs veuillent en
profiter. Il commence à y avoir beaucoup de publications sur le sujet. C’est très
intéressant à tous les plans mais les données sont lacunaires. Par exemple, le
rapport de la World Bank indique que cette économie représente 3 milliards de dollars, mais d’autres prétendent qu’il dépasserait les 5 milliards… Ce qui est certain,
c’est que c’est en pleine expansion.
Beaucoup de
« petits » mmo ont d’ailleurs un business model qui se base non pas
sur l’abonnement mensuel ou la vente de la boîte de jeu mais uniquement sur la
vente d’objets en jeu. C’est apparemment très rentable. Le seigneur des anneaux online est passé free to play [gratuit] l’an passé, et s’est mis à vendre des
objets en jeu, ils ont multiplié par 3 leur revenu… Ce type de business model était surtout en
vogue sur les mmo coréens, car leurs joueurs sont plus habitués à payer pour
des objets virtuels. L’idée est que 80% ne paye rien mais que les 20% restants
dépensent suffisamment pour que le jeu soit profitable.
L’attrait des objets
virtuels peut être extrêmement fort. Ces cas font office de running joke dans
le milieu des gamers mais il est arrivé que certains joueurs en viennent
jusqu’à tuer pour de bon la personne qui les avait
spolié en jeu.
Au niveau juridique,
l’analyse des conflits portant sur les biens virtuels dans les mmo est assez
complexe, car presque jamais appliquée. Si l’on aurait naturellement tendance à
dire qu’il n’existe pas de droit de propriété sur des objets tirés des mmo, car
le seul droits les concernant seraient un droit d’auteur détenu par les
développeurs ainsi que des prérogatives reconnues par les règlements du jeu,
autrement dit aucun. Cependant, la Cour Suprême de Corée du Sud a reconnu que
l’échange de monnaie virtuelle tirée d’un mmo contre de l’argent étatique était
légal, et soumis à taxation.
Dans le contexte actuel de crise, certains commencent à dire que les monnaies virtuelles pourraient être bientôt le refuge par excellence des investisseurs, notamment du fait de leur absence d’imposition, de traçabilité et leur apparente stabilité (argument valable autant pour les monnaies présentes dans les mmo que les autres monnaies virtuelles, telle que les bitcoins, sur lesquels la Cour d’appel de Paris doit bientôt se prononcer).
Un billet en trois parties encourage fortement le développement de mécanismes
efficaces de résolution des litiges par les éditeurs de jeux eux-mêmes, de peur
que la Justice s’en mêle pour de bon. Néanmoins, imaginant les interactions
qu’il peut y avoir avec le monde réel, l’on peut se demander si cela serait
suffisant.
Sur diablo 3, blizzard va
tester un système intermédiaire, qui consiste à afficher des prix en pièces
d’or ET en monnaie étatique à l’hôtel des ventes. Tu pourras donc acheter
légalement tes objets à d’autres joueurs en payant en euros. Ça risque de pas
mal limiter les gold farmers, et ça permet à blizzard de se faire un
pourcentage sur chaque vente.
Néanmoins, à mon sens
ça tue le jeu. Ces jeux sont basés sur l’acquisition par le joueur d’un statut
social au sein du jeu, fonction en grande partie de son équipement. Si tu peux
acheter l’équipement avec de la monnaie étatique, ça dévalue le prestige qui y est attaché.
Au niveau des avatars, les nationalités existent même si elles correspondent aux races pour les joueurs. Au niveau des personnages non joueurs, tu as différents clans au sein des races, qui s’affrontent généralement.
Pour le reste, le jeu
est cloisonné : Amériques / Europe / Corée / Taiwan / Chine / Asie du
Sud-est. A chacune de ces zones correspond une version du jeu différente (la Chine
a notamment obligé blizzard à changer l’apparence des morts-vivants, qui avaient
trop d’os et pas assez de chair).
Le joueur choisit dans
quelle zone il veut créer son compte, il a ensuite le choix entre des serveurs
classés par langue et avec des « labels » différents : joueur contre joueur,
joueur contre environnement seulement, jeu de rôle.
Après, il existe
plusieurs serveurs pour chaque label, avec une population entre 100 et 40000
joueurs et une moyenne dans les 10000. En pratique, les 10000 ne sont jamais
connectés en même temps, il n’y en a peut-être que 2000 ou 3000. Cela dit, il
s’agit tout de même de créer un monde virtuel où 3000 avatars ne se marchent
pas sur les pieds, ce n’est pas rien !
En bref, tu choisis ta
zone, tu peux ensuite créer ou migrer tes personnages sur tous les serveurs de
la zone quelle que soit la langue (la langue est néanmoins clairement indiquée
lors du choix du serveur).
Au niveau des avatars, les nationalités existent même si elles correspondent aux races pour les joueurs. Au niveau des personnages non joueurs, tu as différents clans au sein des races, qui s’affrontent généralement.
Pour les langues, dans
chaque faction il y a deux ou trois langues, que le joueur peut choisir
d’utiliser selon la race de son personnage. En pratique, seuls les férus de jeu
de rôle s’amusent à utiliser une autre langue que la langue commune de toute
leur faction.
... à suivre.
... à suivre.
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