Après une introduction et un premier billet consacrés à WoW, la seconde partie de l’entretien s’attache au jeu en
lui-même. Avant
d’aller plus en avant, que l’on me permette cependant une digression :
ceux qui s’interrogent encore sur la pertinence d’une étude géopolitique du jeu
vidéo peuvent lire l’article récemment publié sur le blog de Thomas Ricks (« Getting
serious about video games »). A noter d’ailleurs que d’autres lectures
peuvent être entreprises, philosophiques
par exemple. Mais sans plus attendre...
Dans quoi le joueur de World of Wacraft est-il projeté ? Quel récit l’univers du jeu développe-t-il ?
HAGALIS :
Un point intéressant à
soulever serait au niveau de la lore [l’histoire, au sens du scénario : ici, l’univers Warcraft III], entre les différences de visions entre les
leaders de chaque clan. C’est le cas pour Thrall et Garrosh notamment. Thrall
veut une union sacrée entre les races de la horde et vise à réconcilier la horde
et l’alliance. Garrosh veut juste tout anéantir. Pour lui, alter n’est pas ego.
Les morts-vivants sont
de gros aigris qui veulent se venger de tout le monde, les orcs sont
belliqueux, les elfes, gnomes et les taurens (une sorte de minotaures) sont
pacifiques… En pratique encore une fois, ça ne change pas grand chose pour le
joueur, qui n’est en rien incité à adopter la « lore » afférente à la race de
son perso.
Le monde
« socialisé » créé par les joueurs est-il différent de ce qui précède ?
La guerre permanente entre les deux factions peut-elle être dépassée ?
Quel est le rôle joué par les races, voire les genres ? Y a-t-il une
distinction ?
Nous nous trouvons bien face à une guerre
permanente entre les deux factions, même si au final une grande partie du jeu
est passée à affronter des ennemis communs (Arthas, Deathwing, Kael’thas, etc…)
qui menacent la survie du monde entier.
Le sexe de l’avatar
n’a aucune incidence sur le déroulement du jeu. En revanche, il a tendance à
influencer les rapports avec les joueurs. Les joueurs étant en majorité des
hommes, ils ont tendance à être bien mieux disposés à l’égard d’avatars
féminins (dons spontanés, coopération plus aisée… et s’ils se rendent compte
que l’humain derrière l’avatar est également une femme, cet effet n’en est que
décuplé).
De façon générale, la
lore de Warcraft donne une part importante au sexe féminin.
La coopération
est-elle envisageable, au moins ponctuellement ? Voyons-nous le jeu
évoluer à mesure que l’expérience des années (au sens réel) et des niveaux (au
sens virtuel) s’accumule ? Par exemple, le joueur a-t-il besoin d’une
« société » pour progresser, peut-il rester solitaire comme le
« bon sauvage » libre de faire ce qu’il veut sans contrainte aucune ?
La phase de leveling
(l’éducation, l’apprentissage, la montée en puissance du personnage) se fait
via des quêtes scriptées, qui mettent en scène la faction opposée comme étant
l’ennemi absolu. Tout est fait pour que les joueurs des deux factions se
rencontrent lors des quêtes et s’affrontent.
La très grande
majorité des quêtes sont faisables seul. Il existe cependant quelques quêtes
(5%) « élites » qui nécessitent une coopération entre joueurs de la
même faction.
Il arrive également
que des contrats tacites entre joueurs de faction opposée se mettent en place.
Les quêtes alliance et horde demandent souvent de tuer un même ennemi, on peut
alors aider la faction adverse à tuer son ennemi, à charge pour elle de faire
de même une fois sa quête terminée. On peut également ruser et attendre qu’elle
engage son ennemi pour faire front commun avec ce dernier, tuer la faction
opposée et s’attribuer la mise à mort de l’ennemi de quête. Tout dépend de la
psychologie des joueurs, de l’ambiance générale du serveur… Il m’est déjà
arrivé de suivre un membre de l’alliance pendant une demi-heure sans
l’attaquer, et en communiquant via des emotes (gestuelle), car aucune langue
n’est commune aux deux factions.
Arrivé au plus haut
niveau en revanche, cet aspect-là change et l’intérêt du jeu réside quasi
intégralement dans la coopération entre joueurs (champs de bataille à 10, 15,
20 ou 40 de chaque faction ; donjons à 5, 10, 15 ou 25 où l’on tue des
monstres puissants ; arènes joueurs contre joueurs en 2v2, 3v3 ou 5v5),
etc. Il n’existe que peu de contenu solo arrivé à haut-niveau. C’est une
transition clef dans tous les mmo. Beaucoup de joueurs délaissent le jeu avant
d’arriver à haut-niveau alors que d’autres, les plus acharnés, considèrent
qu’arriver au niveau maximum ne fait que marquer le début de la véritable
aventure.
La
coopération/socialisation devient donc obligatoire et, paradoxalement, elle
entraîne une nouvelle sorte de compétition, au sein d’une même faction,
inhérente aux jeux de rôles, qui va consister à être meilleur que ses pairs.
WoW étant le premier
mmorpg « grand public », il a considérablement dû s’adapter à son
public. A la base, les jeux de rôle étaient l’apanage des geeks, les premiers
mmorpg (ultima online, everquest, daoc, etc.) ont développé
des mécanismes de jeu et un esprit vraiment ancré sur ce public particulier,
qui disposait souvent d’un temps de jeu conséquent et d’un niveau de jeu bien
supérieur au joueur moyen de wow…
Les premiers mois/2
premières années sur WoW ont bien reflété cet esprit. Le joueur n’était pas
vraiment encadré par Blizzard, il devait lui-même chercher quoi faire, où
aller, avec qui et comment, etc. Monter un groupe pouvait prendre plusieurs
heures, occupées à lancer des annonces sur les canaux de discussion. Cette
difficulté faisait que lorsqu’on rencontrait un joueur avec qui la coopération
se passait bien, il était plus que conseillé d’essayer de développer un lien
avec lui et de prolonger cette coopération les jours suivants. Les rapports
humains en jeu se créaient plus facilement du fait de la difficulté.
Le système des guildes
(problématique centrale des mmo), développé sur les premiers mmo, avec tout son
ensemble de codes plus ou moins rigides s’est naturellement imposé sur WoW au
début. Beaucoup de guildes créées sur d’autres mmo ont d’ailleurs migré sur
wow.
Ces guildes, quelque
peu semblables à des clubs (de sport ou autres) rassemblent des joueurs
semblables qui s’allient afin de mieux organiser leur temps de jeu. Certaines
regroupent des joueurs de même mentalité, d’autres des joueurs qui jouent au
même horaire, d’autres encore regroupent des amis hors du jeu…
Néanmoins, le but du
jeu pour beaucoup de joueurs étant de progresser, il est nécessaire de mettre
en place des règles afin d’organiser cette société, une sorte de contrat
social, appelé charte de guilde. Dans beaucoup de guildes, elle comprend des
règles à respecter dans son rapport avec les autres (fair-play, politesse),
elle comprend également des obligations (temps de jeu minimum à consacrer à la
guilde, mutualisation des ressources) et des droits (aide des autres joueurs,
partage équitable du butin, place assurée dans les raids…).
Ainsi, je dirais
qu’une guilde standard de joueurs visant à terminer le contenu en groupe du jeu
peut avoir les caractéristiques suivantes :
- Entre 20 et 40
joueurs
- 3 sorties de guilde
minimum par semaine, les joueurs étant invités à assister à au moins 2 d’entre
elles (durée typique de 4h d’affilée, de 20h à minuit).
- Partage du butin
selon des principes plus ou moins complexes (aléatoire –lancer de dé-,
déterminé arbitrairement par un maître de guilde, selon un système de jetons de
présence, etc.)
- Temps de jeu solo
afin d’optimiser son personnage en vue des sorties de guilde +- 1 ou 2h par
semaine
- Recrutement de
nouveaux joueurs sur les canaux de discussion ou par cooptation, sachant qu’il
est nécessaire pour le nouveau joueur de poster un message sur le forum de la
guilde afin de montrer qu’il maîtrise les mécanismes de base du jeu et qu’il ne
sera pas un fardeau pour le groupe. C’est ce que l’on appelle le theorycraft,
l’analyse mathématique des mécanismes du jeu : comment sont calculés les
dégâts infligés, impact du lag sur ses actions, optimisation de son équipement,
maitrise des outils d’analyse des résultats en raid etc. Cela peut s’avérer
relativement complexe.
Je dirai qu’il existe
en France plus d’un millier de guildes de ce type.
Ce système a vite
montré ses limites au niveau du business model. Les joueurs non-initiés aux
codes des mmo, les noobs, se sont retrouvés exclus de ces structures et ne
pouvaient donc pas accéder au contenu haut-niveau. Progressivement, Blizzard a
donc dû mettre en place des systèmes de socialisation aidée/forcée.
Il est ainsi de
l’outil de recherche de groupe. Maintenant il suffit de cliquer sur l’icône du
donjon et le jeu met sur pied un groupe viable (tank/soigneur/damage dealer).
Récemment, blizzard a introduit la même chose pour les raids, qui étaient
l’apanage des (grosses) guildes. Ça permet de réunir automatiquement 25
personnes de serveurs différents, qui ne se connaissent pas, ça prend en compte
leur rôle et leur classe… bref, du tout cuit.
En somme, blizzard
essaie de contourner le plus possible le système des guildes.
Les Worldboss sont un
bon exemple de ce phénomène : ce sont des boss situés outdoor, dans la
partie du jeu librement accessible par tout le monde, contrairement à l’immense
majorité des donjons/raids qui sont cloisonnés (système d’instance, tu rentres
dans un portail et hop, tu te retrouves dans une partie du jeu qui t’es propre,
dans laquelle les autres joueurs ne peuvent pas accéder). Les deux premières
années, blizzard avait installé quelques world boss qui nécessitaient grosso
modo 40 personnes pour les tuer. Donc en général, c’était les grosses guildes
ou des alliances de guildes qui s’en chargeaient. Sauf que, la faction adverse
pouvant interférer dans ce combat, et elle ne se gênait pas pour le faire. Du
coup même après avoir réuni 40 personnes, tu pouvais très bien rentrer
bredouille parce que la faction adverse avait réuni assez rapidement 10 ou 20
personnes pour t’empêcher de tuer le boss.
Là encore, il est
arrivé que sur certains serveurs les joueurs instaurent une règle tacite :
on laisse la faction adverse tranquille lorsqu’elle a engagé un world boss. Tu avais
donc parfois 40 joueurs de l’alliance en combat avec un dragon, une autre
guilde alliance de 40 sur le banc de touche car rivale du premier groupe, et
autant de joueurs horde qui attendent leur tour. Parfois, une entente entre les
guildes de faction opposée pouvait se créer pour tuer le boss chacun une
semaine sur deux. Toutefois lorsqu’une troisième guilde devenait assez forte et
pouvait interférer avec ce cycle, un problème se créait et le dilemme reprenait.
Il y a notamment eu un
world boss en particulier, Kazzak, qui régénérait sa vie lorsqu’il tuait un
joueur. Si la faction adverse était en combat, il te suffisait de t’approcher
du boss et de te laisser tuer pour faire foirer le combat. Blizzard a parfois
fait intervenir ses Maîtres de jeu [des modérateurs] afin de bannir des joueurs qui se comportaient ainsi car ça allait à
l’encontre du fair-play.
Au final, ils ont
supprimé tous les world boss car ça demandait trop d’organisation de la part
des joueurs. C’est la logique de casualisation. (Une autre raison est qu’autant
de joueurs au même endroit risquait de faire crash le serveur.)
De même, les raids en
instance sont passés de 40 personnes il y a quelques années à un double format
à l’heure actuelle, 25 ou 10. Le butin étant le même en 25 qu’en 10, les
joueurs ont tendance à préférer le format à 10, qui risque donc d’éclipser le
25.
Cette évolution,
l’effet fast-food appliqué aux mmo, a effectivement permis de faire accéder de
nouveaux joueurs à ce contenu mais a entraîné une nette dégradation des
rapports entre joueurs. Comme ceux-ci n’ont aucun mal à trouver un groupe, ils
n’ont également aucun scrupule à le quitter à tout moment, ou à ne faire aucun
effort afin de triompher de l’adversité.
De la même façon, le
fait que ces groupes soient composés de joueurs de différents serveurs n’a pas
arrangé la chose. Puisqu’il y a peu de risques de retomber sur les mêmes
personnes, les joueurs sont moins incités à éviter les comportements asociaux
(insultes, subtilisation du butin…).
On peut
malheureusement constater que cette mentalité perdure au-delà de WoW, sur les
nouveaux mmo. Je dois bien admettre que les périodes de beta-test des mmo
(durant souvent plusieurs mois) sont bien plus agréables malgré les bugs que
les périodes subséquentes. Les joueurs sont plus matures, plus aguerris, plus
disposés à coopérer dans une bonne intelligence. Alors que si le mmo devient
mainstream (après sa sortie), l’ambiance générale se dégrade.
Quant à faire ce que
l’on veut, tout est relatif. Tu peux créer un personnage, vagabonder librement
dans le monde, oui. L’intérêt est quand même limité. Les vieux mmo et même les
rpg solo [abrégé : « role playing game », comprendre non multijoueur] avaient tendance à inciter les joueurs à
explorer. Les jeux étaient moins linéaires. Là encore l’évolution du public a
changé la donne. Quand tu n’as que 20min ou une heure de jeu devant toi, tu ne
peux pas vraiment te « permettre » de vagabonder sans but dans le
jeu, il faut que tu rentabilises, que tu progresses dans l’histoire.
Il existe d’ailleurs une
théorie intéressante sur la typologie des joueurs.
Ainsi, l’Explorer désigne un type de joueurs dont l’intérêt principal est de
découvrir des lieux ou des mécanismes encore inexplorés/inusités. Sur WoW, il y
avait notamment une partie souterraine de la capitale des nains qui n’était en
principe pas accessible aux joueurs mais qui pouvait malgré tout se visiter à
condition de connaître quelques astuces (bug de texture, utilisation ingénieuse
de l’outil de déblocage, etc.). L’on peut penser que ce type de contenu aurait
pu facilement être supprimé par Blizzard mais qu’il a au contraire été sciemment
laissé en place afin de contenter ce type de joueur.
Des jeux comme skyrim sont pensés pour lui, wow dans une moindre
mesure également puisque le monde est « libre ». En revanche, des
jeux plus récents comme guild wars ou star wars republic mmo sont beaucoup plus cloisonnés et semblent
moins propice à l’exploration.
Il y a aussi la
problématique des roleplayers, les joueurs qui jouent réellement le rôle de
leur personnage. Par exemple, un truc tout bête : dans la plupart des mmo,
tu as le choix de marcher ou de courir. En pratique tout le monde court parce
que c’est bien sûr plus rapide, mais il y a des gens qui marchent parce que ça
rentre dans le role play de leur perso. Ces gens-là se fichent plus ou moins de
toutes les mécanismes de jeu, ils sont là pour l’univers et le social.
Néanmoins ils sont vraiment minoritaires, y compris sur les serveurs « jeu
de rôle » (moins d’1% des joueurs). C’est dommage que cette approche n’ait
pas tendance à être plus adoptée par les joueurs, car elle permet une bien
meilleure immersion.
Star wars republic mmo
semble davantage les satisfaire, un énorme travail sur l’histoire / les
animations / les quêtes / les voix a été réalisé, dans la lignée des autres
jeux du studio Bioware.
Hagalis, merci !
Pour information, in real life, Hagalis est juriste. Après avoir
parcouru Azeroth pendant plus de 5 ans, il a abandonné WoW et consacre
désormais son temps libre à prêcher la bonne parole vidéoludique.
J’avoue trouver le phénomène WoW, si ce n’est fascinant, du moins très intriguant. J’espère que cette série de billets aura suscité l’intérêt. Pour aller plus loin, voir ici. De même, à propos de l’e-sport et pour illustrer ce que peut-être la gamification, le documentaire suivant peut être visionné...
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