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L’espace constitue-t-il un enjeu pour les élections
présidentielles américaines ? Remarquons d’emblée que ce type de campagne
a tendance à focaliser sur les préférences des électeurs concernant quelques
problématiques bien définies : l’économie, la guerre en Afghanistan, la
santé, etc. Dans ces conditions, nulle attention ou presque ne sera donnée aux
enjeux de moindre importance comme peut l’être la politique spatiale. Cela est
compréhensible : peu d’électeurs basent leurs décisions sur la position de
tel ou tel candidat concernant l’espace. Qui plus est, lorsque les candidats
ont une opinion, celle-ci est souvent à peu de choses près la même, y compris
entre les partis. Encore que les nominations républicaines de cette année
semblent offrir un spectacle bien étrange de ce point de vue.
Le débat républicain…
Il est vrai que cette année un candidat paraît
particulièrement inspiré par la nouvelle frontière au point d’ailleurs d’en
faire une marque de fabrique. Outre un discours « visionnaire » sur
une future
base lunaire, Newt Gingrich a explicitement exprimé à plusieurs reprises son
désaccord avec l’Agence spatiale américaine qu’il qualifie de bureaucratique. « NASA has become an absolute case study in
why bureaucracy can’t innovate » a-t-il ainsi indiqué dans un débat
dans le New Hampshire en juin dernier. Si l’argent accordé à la NASA depuis
la fin d’Apollo avait été proprement dépensé, alors le pays disposerait
aujourd’hui selon lui d’une base lunaire et de plusieurs stations spatiales. « Instead, what we’ve had is bureaucracy after bureaucracy after
bureaucracy, and failure after failure ». « I think it is disgraceful the way getting into space has been turned
into a political pork-barrel. It’s an abuse of the taxpayer and an abuse of
America’s future » a-t-il encore ajouté dans un meeting à Dallas en octobre.
Afin de
redynamiser le spatial aux Etats-Unis et inciter le secteur privé à lancer des
missions spatiales ambitieuses, y compris vers Mars, Gingrich propose la création
de plusieurs grands Prix – équivalant à des milliards de dollars – dans le style des concours organisés au début du
XXe siècle
alors que l’aviation restait encore une affaire de pionniers. L’exemple
classique est le Prix Orteig offert en 1919 par le
propriétaire d’hôtels Raymond Orteig au premier aviateur capable de réaliser un
vol sans escale au-dessus de l’Atlantique. C’est ce prix qui a conduit Charles
Lindbergh à tenter le voyage en 1927 dans le but de gagner les 25 000
dollars de récompense. Des décennies plus tard, on parle d'une industrie pesant
300 milliards de dollars. C’est cette même idée qui a inspiré la X-Prize
Foundation de Peter Diamandis. Une approche alternative,
mais comparable, est celle sur laquelle se base le programme
de Commercial Orbital Transportation
Services (COTS) de la NASA.
Le problème est que ce soutien en faveur de l’essor d’un
espace commercialisé en lieu et place des grands programmes gouvernementaux
d’autrefois revient à endosser la politique de l’homme de la Maison Blanche,
celui-là même que les Républicains cherchent à défaire en novembre prochain. En
février 2010, dans un op-ed
dans le Washington Post, Gingrich
n’avait ainsi pas hésité à soutenir la « révolution spatiale »
de l’administration Obama, qualifiée de « brave reboot for NASA » méritant « strong approval from Republicans ». Il est vrai qu’Obama coupe
ici l’herbe sous le pied de la critique
traditionnelle de l’espace par la droite américaine. Difficile dans ces
conditions pour les électeurs de trancher, n’y a-t-il pas en effet consensus
sur la politique spatiale à adopter ?
… et les positions
des candidats : l’espace, comme rhétorique
La campagne de Floride – une étape clé, mais aussi un Etat
du « croissant spatial » créé par la NASA et comprenant l’Alabama, le
Mississippi, la Louisiane et le Texas – a semblé remettre un peu d’ordre dans cela.
De fait, les différents candidats ont bataillé ferme afin de montrer aux
électeurs qui tenait la position la plus forte, mais aussi la plus originale et
la plus crédible concernant l’espace. Telle est du moins l’impression laissée
lors des deux débats télévisés. Les élections de 2012 seront-elles
différentes de celles de 2008
ou 2004 ? Verrons-nous
l’espace devenir un enjeu ? Nous ne le croyons pas. Nul pouvoir
divinatoire ici. Les résultats
de Floride – la victoire de Mitt Romney, un ancien gouverneur du
Massachussets – en témoignent déjà largement et la campagne qui suit tend à
nouveau à le démontrer : la politique spatiale ne pèsera pas lourd face à
des problématiques comme la santé de l’économie et le chômage.
Et pourquoi en serait-il autrement ? A s’en souvenir
l’intrusion de l’espace dans la campagne, et qui a culminé avec les récentes
déclarations de Floride, a elle-même été tout artificielle. Rappelons que c’est
en effet Mitt Romney qui, lors d’un débat
à Des Moines, Iowa, en décembre dernier, s’est servi de l’espace pour
discréditer son adversaire, Newt Gingrich. Lorsque le modérateur lui demandait
en quoi ses positions différaient de celle de Gingrich, celui-ci a alors
rappelé « his idea to have a lunar
colony that would mine minerals from the Moon », une description
faite dans un livre
écrit en 1984, et de conclure par « I’m
not in favor of spending that kind of money to do that ». Ce qui a évidemment
déclenché le verbe enflammé de l’ancien président de la Chambre des
représentants des Etats-Unis. L’utilisation de l’espace par les divers
candidats montre donc en réalité que l’espace ne constitue pas un enjeu en soi,
mais peut tout de même servir, ponctuellement, d’argument rhétorique contre tel
adversaire, qu’il s’agisse d’un républicain ou de l’homme à abattre, l’actuel
occupant de la Maison Blanche.
Pour cette raison, il n’est pas impossible que la politique
spatiale réapparaisse ici et là durant la campagne. C’est d’ores et déjà le
cas, Gingrich faisant désormais très souvent l’objet d’attaques utilisant
l’argument de la base lunaire. Récemment, Rick Santorum – un ancien sénateur de
Pennsylvanie – s’est ainsi joint à Mitt Romney pour parler de « fiscal insanity ». Une chose
pour laquelle Santorum et Romney ne sont pas forcément appréciés : eux aussi
reçoivent leur part de critiques, notamment parce qu’ils sont « cheap », pour reprendre le mot
de Gingrich, et qu’ils s’opposent aux conservateurs
héritiers de l’esprit visionnaire reaganien. A noter d’ailleurs que les
critiques anti-Lune mobilisent un argumentaire que l’on peut qualifier de
gauche, à savoir pourquoi aller dans l’espace quand il y a encore tant de
besoins sur Terre. Peu importe dans cette perspective d’être dans le vrai ou
faux, ce qui importe, ce sont les mots. Ainsi de la critique de la dépendance
humiliante des Etats-Unis – une décision datant de l’administration Bush – à
l’égard des taxis spatiaux russes en direction de l’ISS. Obama fera
certainement les frais dans les semaines à venir de ce genre de commentaires.
Tout cela importe-t-il ?
La présidence et l’espace
D’autant plus que Romney, l’actuel favori de la campagne du
GOP, aura de plus en plus tendance à directement croiser le fer avec
l’administration Obama. « If you wanted to put together a list of
President Obama’s failures, it’s a long, long list, indeed. But the one in
particular I want to talk about today is his failure to define a mission for
the space program for this nation » a-t-il ainsi déjà pu affirmer lors
d’un discours en Floride. Dans cette perspective
demander si les positions tenues par un candidat lors de la campagne auront une
influence en cas de victoire fait-il sens ? A priori, il ne semble
pas hardi de croire que l’enthousiasme pour l’espace – même rhétorique – ou, à
l’inverse, l’absence d’intérêt, d’un candidat aura un impact sur la politique
spatiale des Etats-Unis si jamais celui-ci est élu. Ce serait commettre pourtant
deux exagérations.
Tout d’abord, le président n’a pas la mainmise sur la
politique spatiale. Cette dernière est de fait à l’intersection de plusieurs
logiques, gouvernées par la Présidence certes, mais aussi le Congrès et la
bureaucratie. Le président n’est qu’un joueur parmi d’autres. Ensuite, que le
président ait un intérêt particulier pour l’espace ou non ne change rien au
fait que l’espace – au moins dans sa dimension civile – n’est plus un enjeu
national américain depuis la fin des années 1960. L’espace est devenu une
activité marginale avec des décisions prises de façon incrémentale, définies
sur la base de « ce que l’on peut se permettre » et de « comment
on peut le vendre » et impliquant des conflits entre divers groupes. Bref,
parfois l’orbite la plus intéressante est située dans la Beltway. Conséquence
de cela, ni Reagan, ni Bush père ou Bush fils, n’ont été capables de relancer
le programme d’exploration. Reste l’espace militaire. Seul Ron
Paul a mis l’accent sur celui-ci durant la campagne, et encore seulement
lorsque la question lui a été posée et pour s’opposer à tout « fun » inutile. Si celui-ci est
finalement évacué, du moins pour le moment, c’est justement parce qu’il est
supposé « utile » et donc incompatible avec la vision de l’espace
frontière des pionniers.
Cela n’empêche pas la présidence des Etats-Unis de disposer
d’un pouvoir rhétorique très important et de mettre justement à profit cette
capacité là dans l’espace, un lieu de prouesses fantastiques rendues possibles
autant par les actions physiques (marcher sur la Lune, etc.) que par les mots. En mai 1961, lorsque le président John F. Kennedy révélait ses plans, c’était en disant
« Now it is time to take longer
strides, time for a great new American Enterprise, time for this Nation to take
a clearly leading role in space achievement which in many ways may hold the key
to our future on Earth ». Et c’est avec des mots très
semblables que le président Ronald Reagan
s’exprimait après l’explosion de la navette Challenger en 1986, « We’ve grown used to wonders in this century.
It’s hard to dazzle us. But for 25 years the United States space program
has been doing just that. We’ve grown used to the idea of space and perhaps we
forgot that we’ve only just begun. We’re still pioneers ». De
fait, si l’espace sert d’argument rhétorique utile dans la campagne des
prochaines semaines, c’est aussi parce que l’espace, par le rôle qu’il joue
dans la psyché collective, est le terrain par excellence pour exprimer sa « vision »
de l’Amérique. Lorsque Gingrich
dit que « I’d like to have an
American on the Moon before the Chinese get there », il démontre à la
fois sa foi dans l’exceptionnalisme américain et son opposition ferme face au
supposé déclin des Etats-Unis.
Les esprits curieux pourront également jeter un œil sur :
Roger D. Launius et Howard E. McCurdy (eds.), Spaceflight and the Myth ofPresidential Leadership, University of Illinois Press, 1997.
Xavier Pasco, La politique spatiale des Etats-Unis 1958-1995, L’Harmattan, 1997.
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