Il y a cinquante ans, le 20 février 1962, neuf mois après le vol de Youri Gagarine, John
Glenn devient le premier américain à faire (par trois fois) le tour de la Terre
à bord de sa capsule Friendship 7.
La chose peut sembler triviale aujourd’hui. Ne serait-ce que parce que ce vol ne fait qu’imiter, avec beaucoup moins de vigueur, et même quelques frayeurs, les deux précédents succès – Vostok 1 et 2 – soviétiques. John Glenn n’est pas non plus le premier astronaute américain à aller dans l’espace. Il a été devancé par Alan Shepard (1923-1998) à bord de Freedom 7 et par Gus Grissom (1926-1967) à bord de Liberty Bell 7.
Et pourtant, il y a cinquante ans…
John Glenn, c’est en
effet la fierté retrouvée après le choc humiliant provoqué par le lancement
surprise de Spoutnik. Comme l’écrit Tom
Wolfe, « John Glenn made us whole
again! » Aujourd’hui,
l’Amérique se souvient et fête le cinquantième anniversaire du début de
l’exploration spatiale habitée made in
America…
… mais pas seulement. Car John Glenn est aussi « the last true national hero America has ever had ». Pilote
de l’US Marine Corps, originaire d’une petite ville de l’Ohio, Glenn, aujourd’hui
âgé de 90 ans, a été choisi en 1959 pour faire parti des « Original Seven », groupe
à partir duquel ont émergé les premiers astronautes américains. Sénateur
démocrate de 1974 à 1999, il est également devenu en 1998, à l’âge de 77 ans,
l’astronaute le plus âgé de l’histoire en effectuant la mission STS-95 à bord de la navette Discovery.
… des New-Yorkais sont agglutinés devant la télévision en
attente des nouvelles du retour de l’astronaute, les Unes des journaux expriment leur enthousiasme et l’on orchestre à
New York la gigantesque « Ticker-Tape Parade », réminiscence de celle
offerte à Charles Lindbergh en 1927, et modèle pour celles qui vont ensuite être
offertes au héros dans tout le pays. Il n’y a que Shepard pour presque avoir eu droit à autant.
Presque.
L’événement relève à l’évidence de l’extraordinaire. Et pour
cause, finis les « Flopnik », « Kaputnik »,
« Oopsnik » et autres « Stayputnik ». Finis aussi les petits
« tirs de mortier » au-dessus des Bermudes. Avec John Glenn, les
Etats-Unis entrent officiellement dans la course à l’espace.
Bref, John Glenn c’est la « Right Stuff » à l’état pur.
Ce rapprochement n’est pas nouveau. Le New York Times y fait par exemple
référence. Et cela ne doit étonner personne. Outre un best-seller, le livre de
Tom Wolfe, écrit en 1979 et traduit dans plusieurs langues (dont le français),
a été superbement adapté au cinéma
en 1983 par Philip Kaufman avec tout ce que l’époque comptait d’acteurs
talentueux (Dennis Quaid, Ed Harris, Scott Glenn, Barbara Hershey, Lance Henriksen,
etc.). Mais The Right Stuff est bien
plus qu’un succès commercial, un mythe applaudi par certains, une
fiction-documentaire peu réaliste critiquée par d’autres, c’est aussi et tout
simplement une Thèse – majuscule et
italique de rigueur.
Pour quiconque s’intéresse à la conquête de l’espace, non
pas tant pour le passionné qui croit en son rêve, que pour l’œil neuf, certes
sympathique, mais également critique,
une question revient sans cesse. Mais pourquoi
aller dans l’espace ? Or à trop s’intéresser à l’Etat – il est vrai
l’acteur majeur, si ce n’est unique, de l’exploration spatiale – le risque
est d’oublier la variable humaine. Lire Tom Wolfe, c’est réconcilier ces deux
points de vue. Le personnage central du
livre est en effet autant le groupe des « Original Seven » que
l’Amérique elle-même. Ainsi, The Right
Stuff s’adresse à la fois aux aviateurs qui cherchent à « pushing the outside of the envelope» de
leurs appareils et aux Américains « left
behind » en lutte avec l’URSS pour la suprématie technologique et
morale dans l’espace.
Pourquoi les hommes vont-ils
dans l’espace ? Rappelons qu’une fusée n’est après tout qu’un immense
bâton de dynamite au sommet duquel s’assoient quelques astronautes. Pire, à la
fin des années 1950 et au début des années 1960, « our rockets always blow up ». « Why men were willing –
willing? – delighted! – to take on
such odds » demande l’auteur ? Là reside l’originalité de la « right stuff ».
Celle-ci n’est pas sans évoquer selon moi l’idée
hemingwayienne présente au cœur de En avoir ou pas (To Have and Have Not, 1937). Elle est en effet absolue. L’auteur n’écrit-il pas que
« the world was divided into those
who had it and those who did not ». On l’a ou on ne l’a pas. « The right stuff », c’est en effet « pousser
l’enveloppe », c’est-à-dire non seulement affirmer sa bravoure, son
courage et sa virilité au quotidien dans son cockpit, mais aussi posséder les
bons réflexes et les capacités réelles qui font la différence entre la vie et
la mort au moment opportun, le tout s’intégrant dans quelque chose de plus
grand qui dépasse l’individu.
Reste que la « right
stuff » est également relative
comme le montre l’image de la pyramide – le ziggourat – utilisée par Tom Wolfe.
L’auteur utilise d’ailleurs
une autre analogie pour expliquer ce qu’est « the right stuff », celle des puritains qui chaque jour se
mettent à l’épreuve afin de confirmer l’élection divine (« They were like believing Presbyterians of a
century before who used to probe their own experience to see if they were truly
among the elect »). Or ce qui fait l’élu fait aussi le damné.
Derrière « the right stuff »,
il y a donc également un sentiment de supériorité opposant le groupe, ses codes
et ses valeurs, au reste du monde (« The
entire world below… left behind »).
L’entrée de l’humanité dans l’ère spatiale va mettre à rude
épreuve cette « right stuff »
puisque elle n’implique rien moins qu’un nouveau défi : après les
batailles aériennes de la deuxième guerre mondiale et de la guerre de Corée,
après les vols dans les nouveaux avions à réaction (Chuck Yeager, Mach 1, puis
Mach 2, etc.), vient en effet l’espace : la lutte pour l’ascension au
sommet de la pyramide reprend. Devenir un astronaute, tel est le nouveau rêve.
Bien sûr, la transition n’est pas aisée et les nouveaux astronautes devront
montrer au reste de la confrérie qu’eux aussi ont le contrôle. Ils ne sont pas des « human cannonball », mais des pilotes.
Mais la transition est a
posteriori évidente. Avec l’espace, les astronautes accèdent à la « right stuff » la plus pure. C’est
en effet ici que s’effectue la convergence entre ce qui est vécu par le pays et
ce que les astronautes du programme Mercury
vont rapidement incarner par rapport à leurs homologues pilotes restés à bord
de leurs avions. Le contexte de la guerre froide change tout, car voilà que l’espace devient le lieu de la compétition virile
par excellence. Le mot pourra sembler banal. Il n’en est pas moins révélateur (les
astronautes ne sont-ils pas tous des hommes, qui plus est des WASP, brillante
incarnation de l’Amérique blanche, rurale et protestante ?). Entre l’URSS
et les Etats-Unis, c’est à qui émasculera l’autre, qui sera le premier. The Right Stuff est en réalité
une magnifique mise en abyme du duel primitif (combat des dieux), magique
(destin, fatum) et antique (Horace contre Curiace) de la guerre froide.
Cette identification ne devient réellement parfaite qu’après
le vol orbital de John Glenn. Ce dernier, tout comme ces six autres collègues,
était le pionnier de la Nouvelle Frontière, nouvelle version. En 1962, il
devient aussi l’éclaireur intrépide. Frienship
7 a montré en effet la voie et a permis aux Etats-Unis de battre l’URSS
dans la course à la Lune.
* - *
Peut-être ces quelques mots pourront-ils expliquer l’aura magique
qui entoure toujours John Glenn, un être « radioactif » qui a prouvé,
tout au long du « test de la foi » qu’a été sa vie, qu’il détenait la
« right stuff ». C’est cela que l’Amérique salue
aujourd’hui (« John Glenn’s 1962 orbit aboard Friendship 7 », « What John Glenn Saw When He Became the First American to Orbit Earth »). Son parcours inspire
(« Glenn's historic orbits still inspire you ») et son héritage, toujours
présent (« 50 Years Later, John Glenn's Space Legacy Still Circling Earth »), bien que menacé (« Fifty years after Glenn flight, U.S. buying rides to space », « 50th anniversary of first US space flight is bittersweet »), vaut la peine de se
battre pour lui (« John Glenn, 1st American in Orbit, Pushes for Manned Mars Missions », « Glenn, Carpenter Reflect on 50 Years
of Americans On-Orbit »). Aussi John Glenn peut-il se permettre quelques remarques sur la politique spatiale actuelle
des Etats-Unis (« I am not at all happy with some of the directions the space
program is going, in particular retiring the space shuttles before we have a
new heavy-lift launching system in place » même s’il comprend avec
Obama que « we just don’t have the money
»).
Bon
anniversaire Friendship 7 !
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