Autre moment, autre histoire. La semaine dernière, un satellite américain UARS (« Upper Atmosphere Research Satellite ») de près de 6 tonnes faisait la Une des journaux après que la NASA a annoncé qu’il était en train de tomber de façon non contrôlée sur la Terre. Vendredi dernier, c’était chose faite. Mais, contre toute attente, la NASA était incapable de dire où les morceaux du satellite se trouvaient. Bref, l’Agence américaine a perdu de vue le plus gros débris américain jamais retombé sur Terre depuis trente ans.
Où est-ce que je veux en venir ? Tout simplement à ce que j’avais annoncé il y a quelques jours dans un précédent billet : la « connaissance de la situation spatiale » est un principe stratégique préalable digne d’attention.
Les Américains le savent, eux qui parlent depuis au moins le Rapport Rumsfeld de 2001 (p. 16, 29) de « Space Situational Awareness » (SSA) pour désigner toutes les menaces d’origine humaine susceptibles d’avoir pour cible les Etats-Unis. Il s’agit des possibilités ASAT adverses, mais aussi des débris et enfin de la surveillance de l’espace dans le cadre d’opérations internationales de transparence. Ils en parlent d’ailleurs toujours comme le montre la dernière National Security Space Strategy qui plaide, de manière controversée, pour « improve our ability to attribute attacks ». Dans ce domaine, les Etats-Unis dominent clairement. Cela n’est pas innocent car la SSA est, bien que de manière non exclusive, un préalable à l’arsenalisation de l’espace : il faut connaître la position de l’ennemi avant de l’attaquer.
Le système GRAVES |
Les Européens s’y mettent également. Pour eux, toutefois, la SSA, que nous avons donc traduit comme la « connaissance de la situation spatiale », est beaucoup plus large : il s’agit de la prise en compte, à côté des menaces humaines, des « menaces astronomiques » (débris, astéroïde, météorologie de l’espace, etc.). Une interprétation fort différente – et très intéressante – si nous la comparons à la vision américaine. Enfin, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, l’Europe ne dispose pas encore d’une capacité SSA totalement autonome. La France dispose certes d’un système de radar appelé GRAVES (Grande Réseau Adapté à la Veille Spatiale) et opérationnel depuis 2005. (Il aurait réussi, dit-on, à observer le test ASAT chinois de 2007.) Mais d’importants efforts restent encore à fournir au niveau européen. Après Ariane et Galileo, l’accès à une SSA indépendante serait en tout cas une évolution logique.
Ce dernier point nous amène à dire que cette problématique est également connue de Jean-Luc Lefebvre puisque nous pouvons considérer que « il est stratégique pour une puissance qui se veut indépendante de disposer de moyens autonomes pour détecter, identifier et classifier tous les objets spatiaux pouvant représenter une indiscrétion, un risque ou une menace » (p. 172). Nous pouvons donc parler de « principe stratégique préalable » dans le sens où « la connaissance de la situation spatiale doit être le prérequis de toute stratégie prenant en compte le fait spatial. Le premier investissement à consentir n’est donc pas en orbite, mais au sol, dans des moyens de surveillance de l’espace » (p. 234).
Il faut tout simplement « connaître ce qui se passe dans l’espace » (p. 231).
Pour aller plus loin, je vous conseille la lecture de deux études, l’une de l’IFRI : Laurence Nardon, « Space Situational Awareness and International Policy », 2007 ; l’autre de l’ESPI : Wolfgang Rathgeber, « Space Situational Awareness (SSA) for Europe. A First Important Step », 2008. A propos du livre de Jean-Luc Lefebvre, un entretien est disponible sur le blog d’Olivier Kempf.
Je me permets une petite précision :
RépondreSupprimerLa NASA a précisé ce matin avoir trouvé la zone d'écrasement du UARS. Je cite :
"14,1° de latitude sud, 170,2° de longitude ouest : ce sont les coordonnées de la zone où sont tombés les derniers débris du satellite UARS, d’après les estimations du Joint Space Operations Center, un organisme dépendant de l’US Air Force. L’endroit se trouve dans le Pacifique sud, au large de l’île Tutuila, à une soixantaine de kilomètres de Pago Pago, la capitale des Samoa américaines."
L'argument reste évidemment valide.