dimanche 25 novembre 2012

L’actualité (choisie) de la semaine… en vidéos. Spéciale ESA

Das Kongresszentrum "Mostra d'Oltremare" in Neapel
Après deux jours d’intenses tractations, les ministres des 20 Etats membres de l’ESA et le Canada, en tant que pays associé, ont donc approuvé le budget alloué aux activités et programmes spatiaux pour les trois prochaines années, soit environ 10 milliards d’euros. « Member states recognize that space is not an expense; it’s an investment » a indiqué Jean-Jacques Dordain visiblement satisfait. L’Allemagne reste le plus gros contributeur (2,6 milliards). Elle est suivie par la France qui, selon les propres mots de la ministre Geneviève Fioraso, « fidèle à sa position de leader européen […] avec un mandat clair et ambitieux tenu dans son intégralité, a été un acteur déterminant des décisions prises […] avec une contribution financière de plus de 2,3 milliards d’euros ». La troisième place, traditionnellement attribuée à l’Italie (1,2 milliards), est décernée cette année au Royaume-Uni (1,5 milliards) dont la contribution à l’ESA a été augmentée de 25%. Une surprise appréciée – Jean-Jacques Dordain a salué ce geste en indiquant, avec humour, qu’il allait s’exprimer en anglais durant la conférence – dans ce contexte de crise économique qui aura vu plusieurs pays, par exemple l’Espagne, diminuer leur financement obligatoire.

Outre être tombé d’accord sur le niveau des ressources de l’ESA pour la période 2013-2017, le Conseil a accepté diverses autres propositions relatives au programme scientifique obligatoire (Gaia, LISA Pathfinder, BepiColombo, Solar Orbiter, Euclid et JUICE), à l’avenir des relations entre l’ESA et l’Union européenne (Galileo, GMES, etc.), tout en confirmant l’engagement européen vis-à-vis de l’exploitation de la Station spatiale internationale (ISS). Les ministres ont notamment accepté que l’Europe fournisse, au titre du « barter element » et grâce à l’expérience de l’ATV, le module de service du nouveau véhicule de transport d’équipage polyvalent Orion de la NASA (MPCV). Cette décision, due en partie à la délégation britannique qui a accepté au dernier moment de verser 20 millions au projet (« The UK is on the space station. It’s a historic moment » a indiqué Dordain), en partie aux résultats des négociations entre Français et Allemands vis-à-vis du futur lanceur Ariane (la France contribuera à hauteur de 20%, un développement qu’elle avait auparavant critiqué pour son peu d’intérêt politique et technologique), a été jugée, à en croire le communiqué de presse, « d’une importance stratégique pour l’Europe », car « elle ouvrira la voie à une coopération entre l’ESA et la NASA sur le futur système de transport spatial habité ». Le projet ExoMars, mis en danger après l’annonce du départ de la NASA, a par ailleurs été confirmé : la Russie contribuera donc, par l’intermédiaire de son lanceur Proton, à l’exploration européenne de la planète rouge en 2016.

Le principal dossier, de fait certainement le sujet de discussion le plus polémique du programme optionnel, concernait l’avenir de la filière Ariane. Un compromis a ainsi été trouvé entre l’option défendue par l’Allemagne, Ariane 5 ME pour « évolution à mi-vie » (coût de 2 milliards), et la position française, Ariane 6, moins puissante et moins chère qu’Ariane 5, mais également plus adaptée à l’évolution du marché (coût de 4 milliards), sans qu’une stratégie réelle n’ait pour autant été identifiée. La solution a consisté à remettre à dans deux ans la décision finale : aucun projet n’est intronisé en particulier, aucun n’est non plus bloqué ; des investissements sont alloués des deux côtés, d’une part, aux études de définition détaillée d’Ariane 6, dans l’idéal annoncée pour 2021, pour un total de 157 millions, d’autre part, à la poursuite du développement pour 187 millions de la version adaptée d’Ariane 5 avec un premier vol prévu pour 2017, tout en tâchant de multiplier les synergies entre les deux lanceurs (moteur Vinci) équivalant à 244 millions.


La presse anglo-saxonne a qualifié de victoire allemande le compromis établi : ainsi de BBC News pour qui « Germany won », ou de SpaceNews, « Germany Wins Battle over Ariane ». Dans l’ensemble, ces médias ont en effet jugé que l’option Ariane 6 était la plus logique étant donné la menace que représentent les fusées Falcon 9 et Falcon 9 Heavy. Trop coûteuse Ariane 5 n’a de fait, pour reprendre les mots d’Elon Musk, le CEO de Space Exploration Technogies, lors d’un entretien à BBC News, « aucune chance » de rester compétitive. Reste que pour eux l’avenir appartient désormais aux fusées réutilisables sur lesquelles SpaceX travaille. La solution bâtarde trouvée incarne donc dans cette perspective le pire des mondes pour l’Europe, « for when ESA makes myopic choices like this, SpaceX deserves all the success it can get ». Le Spiegel est plus mesuré : « In the end, both countries got what they wanted », même si pour la DLR « Germany consolidates its position in European space ». Pour le Monde.fr, c’est au contraire « l’Allemagne [qui] se rallie au projet français de lancer Ariane 6 » alors que La Tribune.fr déplore que « la France rend[e] les armes face à l’Allemagne ». Quant au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, il considère que « l’évolution vers Ariane 6 a été actée » rappelant que le projet aujourd’hui inscrit dans le marbre n’était il y a encore peu soutenu que par la France.


Le 19 novembre, la capsule Soyouz TMA-05M est revenue sur Terre avec à son bord les astronautes Sunita Williams (Etats-Unis), Akihiko Hoshide (Japon) et Youri Malenchenko (Russie) de l’expédition 33. L’atterrissage a eu lieu à 7h56 du matin dans la steppe du Kazakhstan. Pendant leur mission, les membres d’équipage ont effectué trois sorties extravéhiculaires, ont accueilli des vaisseaux de transport russes Progress, ont arrimé et désarrimé le cargo américain Dragon, et ont accueilli le vaisseau habité Soyouz-TMA-06M.



Restés à bord de l’ISS, l’Américain Kevin Ford et les Russes Oleg Novitskiy et Evgeny Tarelkin attendent quant à eux d’être rejoints par le deuxième trio de l’expédition 34,  le Russe Roman Romanenko, le Canadien Chris Hadfield et l’Américain Tom Marshburn, dont l’arrivée est prévue pour le 19 décembre. L’occasion de fêter Thanksgiving la tête dans les étoiles.


La Chine a procédé le 19 novembre au lancement à bord d’une fusée CZ-2C du satellite d’imagerie SAR HJ-1C. Le tir effectué depuis la base de Tai Yuan a également mis en orbite trois autres charges utiles, le satellite XY-1 (140 kg) et deux charges expérimentales FN 1 (160 kg) et FN-1A (30 kg). HJ-1C, équipé d’une antenne SAR déployable de 6m de long, est une première. La constellation d’observation de la terre Huan Jing (HJ, « environnement » en mandarin) est composée de deux autres petits satellites d’imagerie optique, HJ-1A et HJ-1B, en orbite basse depuis 2008. Outre cette formation 2x1, la Chine a pour objectif de lancer d’ici 2020 une constellation 4x4, quatre satellites optiques pour quatre satellites SAR.



Le lendemain, c’est un lanceur russe Proton-M qui plaçait en orbite géostationnaire un satellite de communication BSS EchoStar 16, 6258 kg tout de même. Ce tir, réalisé avec succès grâce à l’étage réallumable Briz-M, rappelle que la Russie reste un concurrent sérieux face à Ariane dont l’avenir est toujours aussi incertain. Malgré l’échec d’août dernier, la fusée Proton maintient donc la cadence avec trois lancements en moins de deux mois, et encore un ou deux d’ici la fin de l’année. Outre sa charge utile, EchoStar emporte avec lui un disque en silicium contenant 100 images : « une sorte d’épitaphe qui tournoierait indéfiniment à 36 000 kilomètres de la Terre et raconterait une histoire de l’humanité lorsqu’il n’en restera plus aucune trace ».



Aujourd’hui même, enfin, à 12h06 heure locale, la Chine a lancé avec succès la constellation triple YG-16 depuis le centre de lancement de Jiuquan à l’aide d’une fusée CZ-4C. La famille de satellites d’observation Yaogan, débutée en 2006, cache de l’avis général des satellites de reconnaissance militaire (ISR) à imagerie à la fois optique, ELINT et SAR. Elle serait plus largement révélatrice de l’intérêt de la PLA pour le spatial et de son influence grandissante au sein de l’effort spatial chinois, de même que la preuve d’une transition de l’espace stratégique à l’espace tactique dans la perspective d’une stratégie anti-accès. Il s’agissait du 17e lancement chinois de l’année. Deux ou trois autres devraient encore avoir lieu d’ici début 2013 : un rythme impressionnant. Sur le spatial militaire chinoise, voir notamment cet article introductif rédigé pour Perspectives Internationales.


S’agissant de l’actualité cinéma, nous nous bornerons cette semaine à évoquer la disparition du Russe Boris Strougatski. Natif de Saint-Pétersbourg, astronome de formation, il avait développé avec son frère Arkady un style littéraire unique très idéaliste, inspiré de l’expérience communiste et qui donne une saveur si particulière à la SF d’origine soviétique. Dernier membre encore vivant de la fratrie qui aura offert à Andreï Tarkovski le scénario à l’origine du film de science-fiction Stalker (1979), critique du régime de Poutine, Boris est mort à 79 ans.

mardi 20 novembre 2012

Des pères fondateurs…

Il y a des pères fondateurs pour tout, à tel point d’ailleurs qu’il serait inutile de multiplier les exemples. Que l’on songe tout simplement aux « Pères fondateurs des Etats-Unis » (« Founding Fathers »), ces hommes qui ont participé à la Révolution américaine en signant la Déclaration d’indépendance (1776), en prenant part directement à la guerre d’indépendance (1775-1783) et en rédigeant la fameuse Constitution « We the people… » (1787). Dans un autre ordre d’idées, citons également ceux qui pour la première fois ont réussi à dompter l’énergie atomique : ces scientifiques qui, dirigés par Enrico Fermi, sont à l’origine de la Chicago Pile 1 construite en  1942 sous les gradins du stade de football américain de l’Université de Chicago.
File:Declaration independence.jpg
La conquête de l’espace ne fait pas exception. Encore que là comme ailleurs il faille bien sûr davantage parler de trope, destiné à embellir une histoire en la rendant à la fois plus concrète et plus vivante, c’est-à-dire en l’identifiant à un ou plusieurs hommes, qu’à prendre le mythe au pied de la lettre. Ces récits évoluent généralement autour d’un individu qui s’est avéré être tout à la fois un penseur (idées) et un bâtisseur (institutions), pour incarner finalement un testateur dont le testament spirituel et l’héritage matériel appartiennent à la Nation tout entière. Nous reconnaissons là en partie l’esquisse du « Sauveur » dessinée en 1986 par Raoul Girardet dans le contexte typiquement français de « l’homme providentiel ». Deux types nous intéressent particulièrement ici : celui de Solon, c’est-à-dire le père fondateur au sens strict du terme, celui dont la sagesse et les connaissances font la légitimité, et celui de Moïse, le prophète, le guide, bref le visionnaire. Aussi identifierai-je, dans le cas de la construction d’une mythologie proprement spatiale, plusieurs générations de pères fondateurs : les précurseurs, les utilisateurs, et les visionnaires.
Fichier:Tsiolkovsky.jpgFichier:Dr. Robert H. Goddard - GPN-2002-000131.jpgFile:Photo of Hermann Oberth - GPN-2003-00099.jpg
Ce premier groupe rassemble ces individus qui, entre 1880 et 1945, ont considérablement marqué les débuts de l’âge spatial. Ainsi du Russe Constantin Tsiolkovski (1857-1935), de l’Américain Robert Goddard (1882-1945) et de l’Allemand Hermann Oberth (1894-1989). Les historiens français ont l’habitude d’ajouter à ce trio le Français Robert Esnault-Pelterie (1881-1957). Tous les quatre sont les « pères de l’astronautique », inventeurs, théoriciens, parfois expérimentateurs, passionnés en tout cas et d’ailleurs formés à l’école de Jules Verne.

Tsiolkovski, d’origine populaire, enseignant en province et sans soutien véritable, n’a été reconnu qu’à la fin de sa vie après la révolution communiste, allant jusqu’à faire l’objet d’un véritable « culte de la personnalité ». « Père incontesté » de la science moderne des fusées, il en révèle les premières équations de fonctionnement et entreprend les premiers efforts de dimensionnement (poids, altitudes, vitesse, carburant). L’essence du travail de Tsiolkovski est exprimée dans l’équation du même nom, publiée en 1903, selon laquelle V = Ve ln (Mi/Mf). V représentant la variation de vitesse d’une fusée, dont les engins éjectent des gaz à une vitesse Ve, et Mi/Mf constituant le rapport de la masse totale initiale sur la masse totale finale après épuisement avec Mi - Mf = Mprop soit la masse totale de propergol utilisée. A l’image de la formule E = mc² publiée deux ans plus tard par Albert Einstein dans son premier article ayant trait à la théorie de la relativité, il faudra plus de quarante ans pour que l’humanité prenne enfin conscience du potentiel révolutionnaire de cette découverte qui menacera son existence même. Goddard va quant à lui procéder aux premières expérimentations, d’abord à partir de fusées à poudre, puis sur la base de carburants liquides (oxygène-hydrogène) plus énergétiques – comme en 1926 lorsque la première fusée moderne s’élève dans le ciel jusqu’à une hauteur de 12m, ou en 1935 quand une de ses fusées dépasse le mur du son. Hermann Oberth, austro-hongrois de naissance (dans l’actuelle Roumanie), est le seul de ces pionniers à avoir vu l’homme marcher sur la Lune. Il est également davantage théoricien qu’expérimentateur. Conseiller technique en 1929 dans le film de Fritz Lang, Eine Frau im Mond, il conçoit néanmoins une fusée à carburant liquide pour la première du film. Il est également à l’origine de l’engouement allemand de l’entre-deux guerres pour l’espace et les fusées à travers la fameuse Verein für Raumschiffahrt (VfR), et donc un des pères du programme V2. Robert Esnault-Pelterie, le moins connu des quatre, est un inventeur de génie, touche-à-tout, à l’origine du « manche à balai » comme du moteur en étoile, « passeur » plutôt que « buteur », bien qu’auteur de certaines publications à sensation.

Malgré leurs succès techniques, il est ici frappant de remarquer combien ces hommes ont été solitaires leur vie durant. Si les états-majors de l’entre-deux guerres ont le plus souvent ignoré leurs découvertes (l’exception étant l’Allemagne), la consécration n’est pour la plupart venue que très tardivement, parfois trop tard. Outre les fusées, ces précurseurs ont développé les premiers les aspects techniques relevant des stations orbitales ou des combinaisons spatiales. Ils sont ainsi à l’origine, à l’image d’Arthur C. Clarke (1917-2008), de prédictions, qui, quelques décennies plus tard, se sont vérifiées. 
Autant la première partie relevait de l’anecdotique – une mise en bouche en quelque sorte –, autant s’agit-il maintenant d’entrer dans le vif du sujet. Pour qui s’intéresse à la naissance des programmes nationaux, la figure du « père fondateur » est omniprésente : elle a ceci d’intéressant qu’elle est censée refléter à travers la détermination et le courage de l’individu mythifié les ambitions de la nation entière. Dans ces conditions, les pères fondateurs décrits ci-dessous, choisis pour leurs personnalités extrêmes et le rôle majeur que la postérité leur a choisi, sont tous trois associés à la construction de leur nation et au brillant futur que celle-ci est supposée posséder. Pour l’Union soviétique, Sergueï Pavlovitch Korolev (1906-1966). Pour les Etats-Unis, Wernher Magnus Maximilian von Braun (1912-1977). Pour la Chine enfin, Qian Xuesen/Hsue-Shen Tsien (1911-2009).

Le titre de père fondateur est parfois contesté : c’est le cas pour von Braun. Reste que pour l’essentiel, ce sont les similarités qui l’emportent. Ainsi, selon l’historien Asif A. Siddiqi, chacun de ces trois individus porte en lui une combinaison unique de qualités duales : compétent et visionnaire, ingénieur génial et organisateur hors pair, à l’aise avec les plus grands dans les coulisses du pouvoir et pourtant accessible à tout un chacun. Chacun est également associé à un traumatisme fondateur, que l’épreuve ait été physique, morale ou professionnelle. Korolev a été victime des purges staliniennes en 1938 : arrêté sous prétexte de sabotage, il est ainsi envoyé dans la Kolyma dont il ne sera sauvé que grâce à l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale en 1940. Von Braun n’a quant à lui jamais véritablement pu se dissocier de son passé au service de l’Allemagne nazie et notamment sa responsabilité dans les morts et les souffrances des prisonniers du camp de travail de Dora à l’origine de la construction des fusées V2. Enfin, victime de la chasse aux sorcières lancée par le sénateur McCarthy, la vie de Qian restera à jamais marquée par son expulsion des Etats-Unis en 1955 après cinq années d’attente et de détention. Loin de succomber à l’adversité, ces hommes se sont débattus et ont tous finalement atteint dans leur pays respectif la prééminence. Un parcours qui n’a pas manqué de frapper leurs collègues et plus largement leurs contemporains et qui, ce faisant, en est venu à incarner une métaphore de la difficulté avec laquelle les programmes spatiaux se sont construits dans ces années formatrices. Pour cette raison, le mythe du père fondateur est souvent reconnaissable aux explications déterministes qu’il propose s’agissant d’histoire du spatial. Korolev, von Braun et Qian ont fait ceci, et par conséquent les programmes spatiaux soviétique, américain et chinois ressemblent à cela. Dans le cas russe, le mythe Korolev est d’autant plus prégnant que l’identité du « chief designer » a été tenue secrète jusqu’à sa mort ; une fois disparu, après une opération chirurgicale difficile en 1966, c’est également tout l’édifice qui paraît s’effriter : battu à plate couture par les Etats-Unis dans la course à la Lune, le programme spatial soviétique ne paraît pour beaucoup plus que l’ombre de lui-même.

C’est aussi et surtout vrai du point de vue de l’étranger. On se souvient du rôle presque fantastique que Tom Wolfe fait jouer à Korolev, jamais nommé pour les raisons déjà indiquées, toujours identifié à travers des paraphrases que l’aède n’aurait pas contestées lorsque narrant la stupeur des mortels combattant les dieux cachés sous de faux traits près des murs de Troie. S’agissant de Qian, il faut ainsi relever que s’il est avec raison considéré comme le « père » du programme spatial chinois, il apparaît en réalité dans les sources historiques chinoises comme un personnage plus complexe. Pour les historiens, malgré des qualités scientifiques certaines, Qian est avant tout un meneur : il est celui qui a poussé les décideurs chinois à s’intéresser aux possibilités spatiales même lorsque le pays était en proie à la plus terrible des famines. Il est celui qui a servi de lien entre les ingénieurs et les scientifiques et le pouvoir politique ; c’est en partie son enthousiasme qui a fait bouger la bureaucratie. Le mythe, développé notamment aux Etats-Unis, suggère pourtant beaucoup plus : sans déportation, sans McCarthy, la Chine n’aurait jamais développé de missiles, de fusées et de satellites.
Des « utilisateurs », passons au groupe des « visionnaires ». La transition apparaîtra d’autant plus aisée que les deux groupes partagent de nombreux points communs. Et pour cause, les « pères fondateurs » sont tout autant des ingénieurs charismatiques s’adressant à leurs pairs, que des conseillers pragmatiques du pouvoir politique et des publicistes de grand talent vendant leurs rêves personnels d’exploration à l’opinion publique.

La meilleure illustration que nous puissions en donner requiert de s’arrêter une nouvelle fois sur la personnalité de Wernher von Braun. Sa participation technique est connue : recruté avec 120 autres collaborateurs par les Etats-Unis dans le cadre de l’opération Paperclip en 1945 (selon les mots d’un ingénieur allemand, « We despise the French; we are dealthy afraid of the Russians; we don’t think that the British can afford us; so all we have left are the Americans »), von Braun ne sera placé en première ligne qu’après les succès répétés de l’URSS et l’échec du programme Vanguard. A l’origine de la fusée Juno ayant mis en orbite le satellite Explorer 1 le 1er février 1958, il restera à la tête de l’effort spatial américain en participant aux programmes de vols habités Mercury, Gemini, puis Apollo et en en concevant les lanceurs, dont les fusées Saturn. C’est donc davantage sa contribution intellectuelle voire spirituelle, à l’origine d’une attitude agressive vis-à-vis de l’exploration de l’espace, à laquelle les historiens ont donné le nom de « Huntsville School », qui nous intéresse maintenant. Cette vision, explicitée dans l’ouvrage de 1975, History of Rocketry and Space Travel, défend en effet un paradigme de conquête dans la droite lignée de la final frontier américaine. En effet, malgré son origine européenne, immigrant de fraîche date qui plus est, von Braun a le premier su utiliser le mythe de la frontière comme justification du programme spatial aux Etats-Unis, l’espace étant décrit comme la continuation d’un  mouvement d’exploration et de colonisation séculaire : « For more than 400 years the history of this nation has been crammed with adventure and excitement and marked by expansion. […] Compared with Europe, Africa, and Asia, America was the New World. Its pioneer settlers were daring, energetic, and self-reliant. They were challenged by the promise of unexplored and unsettled territory, and stimulated by the urge to conquer these vast new frontiers ». A l’utilisation de cette métaphore de la frontière propre à von Braun et que le public américain a découverte grâce à l’aide de Walt Disney dès 1955, s’ajoute le corollaire John Kennedy. Outre accepter le défi posé par l’URSS, le président Démocrate a de fait augmenté les enjeux avec en référence ce paradigme d’exploration : car si l’espace « is one of the great adventures of all time, and no nation which expects to be the leader of other nations can expect to stay behind », il est aussi le medium par lequel sera offerte à la société américaine une promesse utopique de changement : « [W]e stand today on the edge of a New Frontier — the frontier of 1960s, the frontier of unknown opportunities and perils, the frontier of unfilled hopes and unfilled dreams. […] Beyond that frontier are uncharted areas of science and space, unsolved problems of peace and war, unconquered problems of ignorance and prejudice, unanswered questions of poverty and surplus ».
NB : Il va sans dire – vous l’aurez sans doute maintenant remarqué – qu’il n’y a pas de femmes fondatrices du programme spatial. Pour cause, l’histoire de la conquête de l’espace a entièrement été dominée par les hommes. Ne serait-ce que parce que l’accès à l’université, notamment aux sciences appliquées et à l’ingénierie, a longtemps été un chemin parsemé d’embûches. Les femmes ne sont pas pour autant absentes des efforts d’exploration : elles ont contribué en nombre aux programmes spatiaux de toutes les nations.

NB² : Capitalisant sur l’héritage des générations qui les ont précédés, notamment celle des « visionnaires », les tenants d’une théorie du space power, très appréciée outre-Atlantique, pourraient faire office de quatrième groupe. Parmi ces adeptes, si l’on peut dire, tant les parcours et les idées sont variés, Jim Oberg, Colin S. Gray, Everett Dolman, etc. 



Ce billet, rédigé dans le cadre de la « Chronique spatiale/Des fusées et des hommes », est paru sur AGS.




vendredi 16 novembre 2012

L’actualité de la semaine... en vidéos

Nous en parlions la semaine dernière, Xi Jinping, 59 ans, secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) a été intronisé par le 18e congrès pour devenir officiellement président de la République populaire au printemps prochain. Ce récent changement de leadership à la tête de la deuxième puissance mondiale préoccupe évidemment les analystes de politique étrangère qui observent à la loupe le personnage (y compris la « première dame », chanteuse "kitsch révolutionnaire") dans l’espoir de répondre à leurs questions sur le futur comportement de la Chine. La question est moins pressante, mais elle vaut sans doute aussi la peine d’être posée : quels sont les plans de Xi pour le spatial ? La vérité est que dans le court-moyen terme, peu de choses devraient changer. Le programme spatial n’est, quoi qu’on en dise, pas une priorité en Chine. D’autant plus que le chemin pour les prochaines années est tout tracé, comme illustré par le dernier Livre blanc. De fait, le nouveau dirigeant présidera une période riche en événements spatiaux, de Chang’e à Tiangong dont les modules 2 et 3 devraient suivre prochainement. Après 2020, décennie sur laquelle Xi devra prendre des décisions, les interrogations se font toutefois plus nombreuses : la Chine poursuivra-t-elle son approche incrémentale, étape par étape, jusqu’à l’envoi de taïkonautes sur la Lune vers 2030 ? Ou ressentira-t-elle la nécessité de diminuer son investissement spatial déjà modeste aux alentours de 2 milliards/an ? La lecture du spatial chinois est de fait difficile, sujette à de nombreuses interprétations. Sur ce sujet, voir l’article que j’ai commis pour Perspectives internationales, « La Chine à la conquête de l’espace : petit guide critique ».


Le 10 novembre dernier, une fusée Ariane 5 a lancé avec succès, pour la 52e fois consécutive, deux satellites de télécommunications : Eutelsat 21B construit par Thales pour le compte de l’opérateur parisien bien connu, et Star One C3 développé par la firme américaine Orbital Sciences pour couvrir le Brésil et la zone andine. Il s’agit du 26e satellite confié par Eutelsat à Arianespace, et du 9satellite brésilien lancé. Avec ce lancement, la famille Ariane totalise 210 missions depuis le vol inaugural d’Ariane 1 en 1979.



Autre lancement de la semaine, celui d’un satellite de communication dual, à usage civil et miltiaire, de la constellation Meridian destiné à remplacer la vieille famille de satellites Molniya. Lancé depuis la base spatiale de Plesetsk, à bord d’un Soyouz 2.1a, Meridian 6  a la particularité d’opérer sur une orbite très excentrique (e = 0,7) avec une apogée de 35 790 km pour un périgée de 500 km avec une période de révolution de 12h et une inclinaison de 63°. Découverte à l’époque des premiers pas de l’URSS dans l’âge spatial, cette orbite est utilisée car elle permet de couvrir l’intégralité du territoire russe au contraire des GEO sats, tout en étant plus facile à atteindre depuis les latitudes très élevées des pas de tir russes. Parce qu’il s’agit d’un lancement militaire, la publicité est faible et les vidéos introuvables.

Le bon déroulement de l’opération a pu surprendre ceux d’entre vous qui suivent attentivement les nouvelles russes. Mercredi, le Centre de Contrôle des Vols (TsUP, équivalent de Houston), situé près de Moscou, a en effet subi une panne conduisant, selon l’agence de presse Ria Novosti, la Russie à perdre le contact avec le segment russe ISS et une grande majorité de ses satellites civils, avant de préciser finalement que concernant la station spatiale la NASA assurait naturellement l’intérim. Des travaux de terrassement seraient responsables : en provoquant la rupture d’un câble, ils auraient entraîné une perte des communications avec les stations de télémétrie terrestres situées en Russie empêchant le segment sol de suivre avec précision les données orbitales des satellites. Aucun satellite militaire n’a toutefois été concerné par le problème. Dans le cas du cosmodrome de Plesetsk, c’est d’ailleurs le centre de Golitsino (TsUS) qui est aux commandes. La date d’atterrissage du vaisseau Soyouz TMA-05M avec à son bord trois astronautes est également maintenue au 19 novembre.

Dernière vidéo promotionnelle de l’ESA avant la semaine chargée et cruciale qui décidera de son futur dans le cadre de la ministérielle de Naples. Une importance bien comprise du directeur général qui a proposé de réunir le prochain Conseil ministériel dans les 18 prochains mois au lieu des trois ans habituels afin que les décisions programmatiques puissent bénéficier de toutes les évolutions conjoncturelles possibles. Entre temps : « l’espace est-il un bon  investissement pour l’Europe ? » Les problèmes auxquels le monde fait face aujourd’hui demandent des solutions innovantes. L’espace est stratégique dans cette recherche : en investissant dans ce secteur, l’ESA obtient des dividendes favorisant la croissance et la compétitivité européenne…



Une vidéo à donner le tournis : les astronomes de la NASA viennent d’établir un nouveau record, la découverte d’une candidate pour le poste de galaxie la plus lointaine visible dans l’univers. Cette nouvelle galaxie, appelée MACS0647-JD, a été observée 420 millions d’années après le Big Bang. Sa lumière a voyagé 13,3 milliards d’années pour atteindre la Terre.



Concernant les nouveautés cinématographiques, premier trailer dévoilé pour le thriller de science fiction Europa : six astronautes se rendent dans le cadre d’une mission internationale sur le quatrième satellite de Jupiter, la lune glacée Europa, afin d’y trouver une vie extraterrestre. Pour suivre cette incroyable odyssée, rendez-vous dans les salles courant 2013.


Quelques événements pour finir. Comme l’an passé, le festival de l’image et du livre « Des étoiles et des ailes » s’invite le temps d’un weekend, du 15 au 18 novembre, à Toulouse. Cette année, l’événement aérospatial est accueilli par la Cité de l’Espace.

Puisque j’en suis à parler de Toulouse, le CNES et la Cité de l’Espace reconduisent pour une deuxième saison, à partir du 29 novembre 2012, leur partenariat avec la Cinémathèque de Toulouse. Au programme : Apollo 13 pour découvrir les confins du système solaire, Solaris pour interroger le Temps et la Mémoire et Le Jour d’après pour mieux appréhender l’évolution du climat, sans oublier d’autres classiques, une Special Yuri’s Night et des invités de marque.

La nouvelle saison des Mardis de l’espace a débuté le 16 octobre 2012 à Paris. De 19h30 à 20h30, le CNES organise des soirées sur le thème de l’espace au Café du Pont-Neuf, 14 quai du Louvre. Le prochain rendez-vous, mardi 20 novembre, devrait tout particulièrement intéresser les lecteurs de ce blog : Richard Bonneville, directeur adjoint de la direction de la prospective, de la stratégie, des programmes, de la valorisation et des relations internationales du CNES, et Alain Dupas, physicien, auteur de nombreux ouvrages et consultant spécialiste du programme d’exploration, vous entretiendront de « l’Exploration de l’espace : vers une stratégie internationale ? » 

samedi 10 novembre 2012

Entretien avec Christian Lardier, journaliste à Air & Cosmos

Christian Lardier est journaliste, chef de rubrique « Espace » depuis 1994 du célèbre magazine Air & Cosmos (@AiretCosmos), l’unique référence en matière d’information aéronautique et aérospatiale en langue française. A l’occasion de son départ à la retraite (voir le numéro daté du 2 novembre, p. 10), après dix-huit années passées à l’hebdomadaire, il a accepté de répondre à nos questions et de revenir sur son parcours. Au programme : journalisme spatial, Corée du Nord, Russie, Etats-Unis, pertinence du « space control » face à la problématique des débris et histoire du spatial. Qu’il soit vivement remercié.
Monsieur Lardier, pouvez-nous parler de votre parcours ? Comment êtes-vous arrivé à la tête de la rubrique Espace d’Air & Cosmos ? Plus généralement, comment est née votre passion pour l’Espace, notamment le programme spatial russe ?

Je suis un autodidacte : je n’ai pas de parcours en tant que tel. Je n’ai pas non plus suivi de formation Espace spécifique. Ma passion pour l’Espace est née durant mon adolescence au contact d’Albert Ducrocq (1921-2001), célèbre chroniqueur spatial des années 1960 aux années 1990 que j’ai eu la chance de rencontrer. Doué d’une énorme capacité de travail, Albert Ducrocq a animé de manière quotidienne une chronique sur Europe 1, ainsi que dans les pages scientifiques du journal Le Figaro. Il a également beaucoup écrit : aussi bien des articles pour des hebdomadaires, comme Air & Cosmos et Sciences et Avenir, que des ouvrages – en moyenne un par an. Je faisais partie de ses élèves. Et bien que je n’aie jamais eu la prétention de rattraper le maître, je me suis toujours efforcé de le prendre comme modèle. 

J’ai commencé à écrire grâce à Albert en 1974. Mon premier article, écrit pour le compte de Sciences et Avenir, a pour sujet « les résultats scientifiques des sondes martiennes ». J’avais alors 22 ans. J’ai continué à rédiger des piges pendant une vingtaine d’années à la demande d’Albert Ducrocq, en parallèle à mon activité professionnelle fixe. C’est de cette façon que j’ai fait la connaissance du personnel d’Air & Cosmos et notamment du chef de la rubrique « Espace ». Lorsque celui-ci est passé rédacteur en chef de l’hebdomadaire, j’ai pris sa succession à la tête de la rubrique « Espace ». C’était en 1994, j’avais alors 42 ans.

J’ai beau avoir été pigiste pendant 20 ans, j’ai longtemps été davantage connu pour mon expertise sur le spatial soviétique. Je suis en effet les affaires russes depuis 1972. J’ai commencé par curiosité : alors qu’il y avait surabondance d’informations sur les autres programmes spatiaux, on ne savait pas grand-chose du spatial soviétique. La chape de plomb du secret couvrait l’essentiel des activités spatiales soviétiques, il y avait à gratter, je me suis lancé. J’ai donc appris le russe en autodidacte, avec un dictionnaire et une grammaire de première année de fac. C’est de cette manière que j’ai pu suivre dans les publications originales les activités russes : j’ai pu ainsi avoir accès à tout un ensemble de quotidiens, mensuels et ouvrages en langue russe que j’achetais à la Librairie du Globe, point de ralliement pour les livres publiés en URSS durant la guerre froide. Avec les copains, on formait un petit cercle de spécialistes et on assurait une sorte de veille. Mes premiers voyages en URSS datent de cette période. A partir de 1975, mes voyages effectués à partir d’un visa touristique sont devenus annuels. J’en ai alors profité pour tisser des liens, créer un réseau. C’est en 1988 que j’ai obtenu l’accréditation du Ministère des affaires étrangères de l’URSS. Devenu officiellement journaliste permanent à Moscou, mes déplacements de presse s’effectuaient désormais avec les journalistes russes, non plus avec les étrangers. Au moment de l’effondrement et de la transition, de 1989 à 1992, je me suis retrouvé à mi-temps en France et en Russie avec une carte qui m’ouvrait toutes les portes. Le programme spatial soviétique n’a longtemps été connu qu’à travers les versions officielles et les informations en provenance de magazines spécialisés aux Etats-Unis dont la pertinence (« info ou intox ») est toujours problématique. Grâce à mon accès privilégié aux archives déclassifiées, j’ai donc pu réécrire l’histoire que l’on connaissait. Le résultat de ce travail, mon premier livre, a été publié en 1992 sous le titre L’astronautique soviétique. Une référence sur la question : il s’agissait en effet du premier livre jamais écrit en utilisant cette approche nouvelle.

C’est aussi à ce moment, en 1994, que je suis entré chez Air & Cosmos pour travailler sur l’ensemble des sujets touchant au spatial, et non plus seulement le spatial soviétique. Cela fait maintenant dix-huit ans que je travaille seul à la rubrique « Espace ». Les concurrents américains Space News et Aviation Week ont une approche différente : ils fonctionnent avec des équipes étoffées de plusieurs journalistes et correspondants internationaux en Amérique et en Europe. La langue française est la spécificité d’Air & Cosmos. Son lectorat, constitué par les spécialistes et les gens qui s’intéressent au sujet, est stable et fidèle. Air & Cosmos est seul sur ce créneau. En mars prochain, l’hebdomadaire fêtera d’ailleurs ses 50 ans.

Au printemps 2012, vous avez été un des rares journalistes occidentaux à être invité en Corée du Nord pour assister au lancement de la fusée Unha-3 (à lire ici sur le site d’Air & Cosmos, voir aussi cette vidéo), pouvez-nous dire quelques mots de cette expérience ?

Comprendre le programme spatial nord-coréen, c’est d’abord comprendre la compétition qui existe avec la Corée du Sud. L’enjeu est de savoir qui des deux sera le premier à mettre sur orbite un satellite. Pour le moment, la Corée du Nord cumule trois tentatives et trois échecs. La Corée du Sud, après deux échecs à son actif, entend procéder à une troisième tentative prévue pour novembre prochain. La compétition est claire. Le lanceur nord-coréen est construit à partir d’un missile. Il s’agit de quelque chose de courant même s’il y a des exceptions. Par exemple ni le H-2 japonais ni le lanceur britannique Black Arrow qui a lancé le satellite Prospero en 1971 ne sont dérivés de missiles. C’est également le cas du KSLV sud-coréen : il s’agit d’un achat « clef en main » d’un lanceur russe. Lors du lancement d’avril dernier, nous étions trois spécialistes spatiaux, dont Jim Oberg, consultant pour la chaîne NBC. Tous les autres journalistes invités écrivaient pour la presse généraliste : leur seule préoccupation était de démontrer que la fusée tirée par Pyongyang était un missile stratégique.

Du spatial russe, on a tendance aujourd’hui à ne retenir que les difficultés présentes : des problèmes engendrés suite au dysfonctionnement d’un étage de fusée Proton, des débris qui sont malencontreusement créés ou d’une sonde martienne qui ne parvient pas à bon port. Quelles réflexions sur l’état de la Russie ces mauvaises nouvelles vous inspirent-elles ? Qu’en conclure par rapport aux autres puissances spatiales ?

Il y a de la part des analystes français une sous-estimation chronique de la Russie et de la Chine. Selon moi une classification pertinente placerait en première position les Etats-Unis. Viendraient ensuite la Russie, puis la Chine, et enfin en quatrième position l’Europe. Pour la plupart des analystes toutefois, l’Europe se situe au deuxième rang. La Chine est troisième et la Russie quatrième. Il s’agit d’une erreur totale de jugement. La Russie a connu récemment des échecs, mais tout le monde a des échecs. La raison principale tient à un problème de qualité ; les Russes surmonteront ces difficultés passagères. De même la Chine est aujourd’hui capable de pratiquement tout faire dans le domaine spatial. Cela s’explique car la Chine est en passe de devenir la première puissance mondiale.

Le positionnement américain par rapport à la Chine est lié au retour à la Lune. Tout comme les Etats-Unis ont lancé une course à la Lune avec l’URSS, de même s’apprêtent-ils à faire la même chose avec la Chine. Il est certain que la Chine ira sur la Lune, probablement vers 2030. Les Américains n’y reviendront sans doute pas. En réalité, la Chine refait étape par étape ce qui a été fait il y a 30 ou 40 ans. Le problème des Américains, c’est qu’ils n’ont pas de vision : ils ont atteint la limite et n’arrivent pas à la franchir. C’est « what next ? » : il y a beaucoup d’hésitation. Chaque nouveau président remet tout à plat. Si Romney l’emporte demain, c’est toute la politique spatiale d’Obama qui sera sans doute remise en cause. Il n’y a pas de continuité, il n’y pas non plus d’objectif clairement défini.

Parlant des Etats-Unis, mais en s’orientant maintenant vers l’espace militaire, on parlait sous les administrations Clinton et Bush de « space dominance » et de « space control ». Qu’en est-il aujourd’hui : Obama, rupture ou continuité ?

La question fondamentale concernant l’espace militaire est la suivante : comment peut-on neutraliser les satellites en orbite sans pour autant créer de débris ? De ce point de vue, l’arrivée au pouvoir du président Obama a coïncidé avec une réelle prise de conscience – quelque chose que je qualifierais de changement de paradigme. Si on veut maintenir les capacités orbitales, le « space control » doit s’organiser autrement : on ne peut plus polluer. Toutes les histoires antisatellites sur lesquelles les Etats-Unis ont travaillé ces dernières années sont donc gelées. Ne pas créer de débris, voilà qui est fondamental. Bien sûr d’autres moyens existent, aussi bien des armes laser que d’autres arsenaux. La question porte également sur l’élaboration d’un nouvel accord international. Les Américains nous jouent l’Ange Gabriel, mais la réalité est qu’ils ne veulent pas signer de traités qui les empêcheraient de faire ce qu’ils veulent en orbite. Nous en sommes du coup au statu quo : personne ne bougera d’un pouce. Il n’y a que l’Europe pour tenter de donner l’exemple. Reste que même sans traité contraignant tout le monde est conscient qu’il faut éviter que l’espace ne devienne un champ de bataille.

Que comptez-vous faire après votre départ d’Air & Cosmos ?

J’ai cofondé en 1999 l’Institut Français d’Histoire de l’Espace (IFHE). A l’origine de ce projet, il y avait alors le constat selon lequel l’espace allait bientôt fêter ses 50 ans et qu’il n’était donc plus possible d’en parler seulement au présent. De même, mon livre sur la Russie  partait du postulat qu’il était possible de réécrire l’histoire du spatial avec le recul. Il y avait certes déjà des commissions d’histoire un peu partout : l’Académie de l’Air et de l’Espace en comptait une, l’AAAF aussi. Mais aucune ne plaçait spécifiquement la préservation de la mémoire au rang d’objectif. Nous étions pourtant à une période charnière car les pionniers des années 1960 disparaissaient peu à peu, les uns après les autres.

Notre objectif premier est donc de préserver la mémoire orale et les archives personnelles – ce que nous appelons la mémoire écrite – des acteurs du spatial. Notre vocation est la sauvegarde de la mémoire orale et écrite. Notre second objectif est l’écriture de l’histoire à la lumière des déclassifications et avec le bénéfice du recul loin du feu de l’actualité. Nous avons publié des ouvrages, organisé des colloques, récupéré des archives qui sont conservées par le Service historique de la défense au Château de Vincennes. Nous avons également fait des interviews.

Je suis président depuis 5 ans, mais mon travail m’empêchait de me concentrer exclusivement sur cette activité. Je vais désormais pouvoir m’en occuper à plein temps.

Christian Lardier, je vous remercie.

Propos recueillis le 30 octobre 2012 par G.P, De la Terre à la Lune pour AGS.



jeudi 8 novembre 2012

L’actualité de la semaine... en vidéos

Astronaut Nikon
Barack H. Obama, premier président noir des Etats-Unis, est réélu à la Maison Blanche. Avec Bill Clinton, il devient le premier démocrate depuis 1945 à emporter un second mandat. Dans son discours enflammé de victoire, prononcé dans la nuit du 6 au 7 novembre à Chicago, le 44président des Etats-Unis a proclamé que pour l’Amérique « the best is yet to come ». Au même moment, « l’autre grande puissance », la Chine, change elle aussi de leader : après dix ans, Hu Jintao cède en effet son poste à Xi Jinping. Mais il ne serait y avoir de contraste plus fort : comme l’indique l’éditorial du Monde, autant « la première économie du monde fonctionne dans la transparence politique […autant], ici, dans l’enceinte du Palais du peuple, place Tiananmen, c’est l’opacité, le secret, le mystère ». Et là encore un discours, d’une exceptionnelle franchise selon les spécialistes, sur la corruption qui gangrène le pays à tous les niveaux et qui pourrait être « fatale » au régime allant jusqu’à provoquer « l’effondrement du Parti et de l’Etat ».


Au moment où les Etats-membres se préparent à des négociations musclées autour du futur de l’Europe de l’espace, l’Agence spatiale européenne sort une nouvelle vidéo promotionnelle à l’accent très british. L’occasion pour 500 millions d’Européens, originaires de 20 différentes nations, de mieux connaître l’ESA à travers des idées et images simples mais puissantes : ainsi d’un investissement annuel équivalant au prix d’un ticket de cinéma par habitant, d’un effort spatial multidimensionnel couvrant toutes les activités spatiales, et impactant positivement le savoir faire technologique et la compétitivité économique de l’Europe (spin-offs, emploi, industrie, etc.).


Hommage au spatial russe : cette vidéo, filmée par les caméras de surveillance, nous provient directement du pas de tir de Baïkonour non loin duquel une marmotte a fait son trou. Tournée avant le lancement de SES-5 le 9 juillet dernier, la vidéo ne nous dit pas ce que la petite bête est devenue ni si elle a survécu aux émanations toxiques des ergols de la fusée Proton.



Alors que Disney a racheté LucasFilm et son incontournable double trilogie intergalactique, voilà qu’Angry Birds, jeu vidéo conçu par la société finlandaise Rovio, créé l’événement aujourd’hui en produisant une énième version dérivée du produit original centrée sur l’univers de Star Wars. Celle-ci fait suite à une version Espace plutôt réussie, d’ailleurs développée avec l’aide et le soutien de la NASA, dans laquelle les mécanismes du jeu se trouvaient modifiés par la prise en compte du champ de gravité. Pour information, Rovio est valorisé entre 6 et 9 milliards de dollars !



Vous savez combien j’apprécie la franchise Iron Man, à mon sens la meilleure adaptation des super-héros de l’univers Marvel. Le troisième opus est annoncé pour mai 2013, avec Robert Downey Jr. toujours en rôle phare, mais sans Jon Favreau aux commandes…


A en croire Joss Whedon, réalisateur du récent Avenger, l’apocalypse zombie n’est pas pour demain maintenant que l’Amérique a fait le choix de réélire son président sortant, et pourtant le sujet est plus que jamais d’actualité : à l’occasion de la sortie de la bande-annonce du prochain World War Z, prévu pour juin 2013, on pourra parcourir le modeste billet publié ici sur cette question.

lundi 5 novembre 2012

« Mexique : l’Etat face au narco-terrorisme »

Après un mois d’attente, le revoilà enfin : l’Alliance Géostratégique organise son prochain café ce jeudi 8 novembre. Nous recevrons Marion Trovo-Harlay, analyste au sein du cabinet Risk&Co et spécialiste du Mexique. Elle nous parlera du « Mexique : l’Etat face au narco-terrorisme ».
De quoi susciter la curiosité et animer le débat : une belle soirée géopolitique comme nous les aimons chez AGS !
Café Le Concorde
239 boulevard Saint-Germain, 75007 Paris
Métro Assemblée nationale

Réservez vos soirées : les prochains cafés auront lieu le jeudi 13 décembre 2012 et jeudi 10 janvier 2013, même endroit, même horaire. N’oubliez pas les consommations !