jeudi 25 août 2011

Evolution de l’espace non-étatique (5) L’humanité à la conquête de l’espace ?

Je termine aujourd’hui cette première série « introductive » que j’avais prévue en commençant ce blog. Après l’essor des firmes commerciales privées dans la foulée du retrait de la navette spatiale américaine et de l’émergence du tourisme spatial, reste à envisager – pour poursuivre dans un paradigme non-statocentré – l’humanité elle-même.

Du point de vue militaire, l’espace est souvent représenté comme étant le « point haut », le point culminant depuis lequel le guerrier – si j’en crois Clausewitz – dispose de trois avantages : la force tactique supérieure (en termes spatiaux : l’avantage de l’énergie), la difficulté de l’accès (en termes spatiaux : l’avantage de la manœuvre) et l’étendue de vue….

… mais cette dernière est tellement belle que parfois le guerrier laisse la place à l’envoyé de l’humanité

« Je voyais la Terre depuis l’espace, si belle depuis qu’avaient disparu les cicatrices des frontières nationales » Mohammed Ahmed Faris (Syrie) 

« En somme, je voyais une partie considérable de la Terre, tout en distinguant sans difficulté les petits détails du terrain où j’avais marché quelques semaines auparavant. Alors je souris de me rendre compte de l’immensité dérisoire et relative de notre planète » Jean-Loup Chrétien (France) 

« Avant d’effectuer mon vol, je savais que notre planète était menue et vulnérable. Mais c’est seulement lorsque je l’ai vue depuis l’espace dans son indicible beauté et sa fragilité, que je me suis rendu compte que la tâche la plus urgente de l’humanité était de la préserver pour les générations à venir » Sigmund Jähn (Allemagne)

De ces témoignages, je tire deux constatations : 1) le point de vue spatial englobe : des frontières humaines, si importantes ici-bas, nulles traces ; 2) le point de vue spatial dépasse : l’horizon limité du terrien apparaît d’autant plus local, provincial et étroit lorsqu’il est comparé à l’immensité noire de l’univers. Vue de là-haut, il n'y a plus que la Terre... et l'espace.

Historiquement, deux événements ont conduit à cette double prise de conscience. Mieux que de vous en parler, je vais vous l’illustrer.
Cette première photo, c’est la fameuse « Bille bleue » (Blue Marble) prise depuis Apollo 17 le 11 décembre 1972 à 47 000 kilomètres de la Terre. Il n’y a aucun signe d’une présence humaine sur cette image. Nulle part nous ne voyons les traces du nationalisme. Mais éloignons-nous encore un peu…
Fichier:PaleBlueDot.jpg
Cette deuxième photo, c’est le « point bleu pâle » (Pale Blue Dot) pris par la sonde Voyager 1 le 14 février 1990 à 6,4 milliards de kilomètres de la Terre. Le fond granuleux ne permet de voir qu’un minuscule point perdu dans la lueur du soleil.

A partir d’ici, je laisse la parole à l’astronome américain Carl Sagan à qui revient la postérité de cette comparaison établie pour la première fois dans son ouvrage de 1994… Pale Blue Dot : 
       Regardez encore ce petit point. C’est ici. C'est notre foyer. C'est nous. Sur lui se trouve tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous connaissez, tous ceux dont vous avez entendu parler, tous les êtres humains qui aient jamais vécu. Toute la somme de nos joies et de nos souffrances, des milliers de religions aux convictions assurées, d’idéologies et de doctrines économiques, tous les chasseurs et cueilleurs, tous les héros et tous les lâches, tous les créateurs et destructeurs de civilisations, tous les rois et tous les paysans, tous les jeunes couples d'amoureux, tous les pères et mères, tous les enfants plein d'espoir, les inventeurs et les explorateurs, tous les professeurs de morale, tous les politiciens corrompus, toutes les « superstars », tous les « guides suprêmes », tous les saints et pécheurs de l’histoire de notre espèce ont vécu ici, sur ce grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil... Il n’y a peut-être pas de meilleure démonstration de la folie des idées humaines que cette lointaine image de notre monde minuscule. Pour moi, cela souligne notre responsabilité de cohabiter plus fraternellement les uns avec les autres, et de préserver et chérir ce point bleu pâle, la seule maison que nous ayons jamais connue. (Citation-traduction wikipédia)
Vous l’aurez compris, la conquête dont je parle ici est toute intérieure : avec l’espace, l’humanité accède enfin à la conscience de soi, de sa place dans l’univers et de la grand part d’inconnu qui lui reste encore à découvrir. En bref, une leçon d’humilité. 

C’est un peu ce que le grand Carl Sagan voulait raconter : un livre à mettre dans toutes les bonnes bibliothèques...

Billets précédents 

(4) « Le tourisme spatial (2e partie) », 21 août 2011
(4) « Le tourisme spatial (1ere partie) », 14 août 2011
(2) « La nouvelle course à l’espace », 22 juillet 2011
(1) « La révolution SpaceX », 26 juin 2011

J'aurai évidemment l'occasion de revenir sur cette (r)évolution de l'espace non-étatique. Pour le moment, le propos est resté anecdotique. Mais le changement de paradigme est réel et influence aussi bien l'espace-défense des Etats (arsenalisation) que l'espace commercial (mondialisation).

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